La pianiste Yulianna Avdeeva à La Roque d’Anthéron : puissance de l’esprit et intériorité

Publié le 27 juillet 2023 à  16h30 - Dernière mise à  jour le 1 août 2023 à  21h58

 

 

C’est avec un programme loin des futilités estivales que la pianiste russe Yulianna Avdeeva retrouvait ce mercredi le public du festival de piano de la Roque d’Anthéron, consacrant toute sa première partie à la monumentale 29e sonate de Beethoven, dite « Hammerklavier » en référence aux possibilités les plus évoluées des instruments de son temps.

Yulianna-Avdeeva au Festival de La Roque d'Anthéron
Yulianna Avdeeva © Valentine Chauvin 2023

L’œuvre porte de bout en bout cette exigence de dépassement, tant sur le plan technique que sur celui de l’esprit, de l’écriture et de l’architecture, allant même jusqu’à susciter encore aujourd’hui des polémiques par exemple sur la portée des demandes métronomiques, extrêmes, inscrites par le compositeur lui-même.

Plongeant dans cet Everest du répertoire, Yulianna Avdeeva inscrit pourtant d’emblée le premier mouvement dans l’héritage classique assumé par Beethoven, éclairant de manière rare un aspect poétique de la partition se prolongeant dans le scherzo, d’où émanent des résonances quasi schubertiennes.

Cette approche introspective et contrôlée se déploie dans le mouvement lent, traduit sans rupture dans une vision comme en suspension, y compris par l’approche du clavier, exprimant ainsi le drame humain qui s’y épanche avec pudeur, tout en concentrant presque hors du temps l’attention du public. Arrive enfin le défi ultime de l’immense fugue finale, défi de proportion, de pensée et de résistance. Un défi, y compris de mémoire, maîtrisé de haute volée par la musicienne, parachevant sans faille une interprétation d’une grandeur à la mesure de cette sonate si intimidante et hors norme.

Il y a chez Yulianna Avdeeva une intelligence absolue du contenu pianistique, qui se reflète dans l’élaboration de son programme. En effet, la seconde partie prolongeait la modernité visionnaire de Beethoven (lui-même parlait avec humour de « quelques libertés ») en réattaquant avec deux pièces du « dernier » Liszt, elles aussi annonçant les audaces harmoniques du siècle suivant. La « Bagatelle sans tonalité » et « Unstern » (« Sinistre ») développent naturellement sous les doigts de la pianiste les chemins de traverse et les abîmes déjà aperçus par Beethoven, en cohérence pourtant avec la 2e légende, bien antérieure, là encore énoncée avec une indiscutable autorité et un sens absolu de la construction.

Yulianna Avdeeva ayant remporté en 2010 le premier prix au concours Chopin de Varsovie, c’est dans son arbre généalogique de carrière qu’elle a choisi de conclure ce récital. Loin de toute afféterie, la dimension de l’interprète a rencontré celle du compositeur. Furent ainsi offertes quatre mazurkas mémorables par leur approche toute en sensibilité canalisée, leur élégance et leur gravité. Le discours était à nouveau exemplairement structuré, même au fil des séquences plus ornementales de l’ « Andante spianato et grande polonaise », dans une sonorité pleinement libérée, jusqu’aux deux bis, également chopiniens (Nocturne et valse) refermant une soirée où l’exigence et la hauteur de vue ont signé la marque d’une authentique grande pianiste.

 

Philippe GUEIT

 

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