Peu de personnes voire de chefs d’entreprise en ont conscience. Le continent africain sera le principal moteur de la croissance mondiale ces prochaines décennies. C’est le constat dressé lors du forum Europe-Afrique organisé par La Tribune. Acteurs économiques, ministres et ambassadeurs sont unanimes : L’Europe et la France doivent changer de narratif, rompre avec des pratiques anciennes si elles veulent profiter de cette croissance. « L’Afrique c’est aujourd’hui, pas demain », insiste l’ambassadrice du Maroc en France. Rencontre avec les principaux acteurs.

L’avenir est en Afrique
L’image de l’Afrique véhiculée ici n’est pas partagée par ceux qui connaissent bien le continent ou y vivent. Lors de ce forum Europe-Afrique ils ont pris un soin particulier à démontrer que la croissance mondiale dans les prochaines décennies se situera en Afrique. Quelques chiffres invitent à reconsidérer notre vision : en 2050 le continent comptera 2,5 milliards d’habitants. Un habitant de la planète sur quatre sera africain. 60 % de la population à moins de 25 ans. Le sous-sol est composé de minerais rares, de 60% de terres arables. La puissance est là.
Changer de narratif
« Toute cette richesse doit être reconsidérée de manière différente, estime Samira Sitaïl, ambassadrice du Maroc en France. Lorsque l’on parle d’immigration par exemple il va falloir à un moment donné brisé les clichés. 85% de la population qui émigre, elle émigre d’un pays africain à un autre pays africain. Continuer de cultiver l’idée que L’Afrique envahit l’Europe c’est peut-être là où il faut commencer à travailler et construire ce nouveau narratif de la perception du continent africain qui est loin d’être un danger, il est une chance.» Pour l’ambassadrice, tout le personnel politique ne met heureusement pas dans la même phrase, Afrique, pauvreté, narcotrafic et islamisme. Elle constate que le rapport de la France est différent par rapport à d’autres pays, « c’est une ancienne puissance coloniale et il convient aujourd’hui d’un côté comme de l’autre de tourner un certain nombre de pages pour en ouvrir de nouvelles. Les puissances économiques qui trouvent leur place sur le continent africain ont compris que ce narratif devait changer dans les faits et dans les éléments de langage.»
Penser codéveloppement
La République Démocratique du Congo est plus connue pour son insécurité alimentaire et ses insurrections armées. Bestine Kazadi, ministre chargée de la coopération internationale et de la Francophonie donne une autre vision. « On détient 70% de production mondiale du cobalt, on a du lithium, on a de l’uranium. On a beaucoup de minerais stratégiques et des terres arables.» Pour elle si l’Europe veut retrouver sa place par rapport à d’autres puissances, « Elle doit être moins centrée sur ses besoins stratégiques et plus sur des investissements directs, industriels. Elle doit avoir un narratif moins colonialiste, moins paternaliste et penser codéveloppement industriel partagé. »
Passer aux actes
Jean-Luc Chauvin, président de la CCIAMP, estime qu’il est temps de passer des paroles aux actes. « Cela fait 20 que l’on parle de coopération avec l’Afrique mais rien n’est fait concrètement. Alors travaillons en bilatérale, créons pays par pays des vrais entrepreneurs méditerranéens. L’idée c’est de prendre 100 entrepreneurs de chaque côté et on les accompagne 18 à 24 mois pour créer des partenariats, pour découvrir des entreprises dans leur filière et faire du gagnant-gagnant. Créons aussi des pépinières, des écosystèmes, des campus Med à Marseille, à Tanger, à Casa, en Tunisie et ayons 15 à 20 start-up qu’on accompagne pour avoir des entrepreneurs méditerranéens. » Il faudra aussi simplifier l’accès dans les pays, trop souvent il est difficile de se rendre dans un salon africain ou français faute de visa en temps et en heure.
Du gagnant-gagnant
On peut travailler avec le Maroc, le Sénégal ou la République démocratique du Congo. La société ID2 est présente depuis 10 ans au Maroc sur Tanger Med. Cette entité franco-marocaine de mécanosoudure continue de se développer et doit essaimer dans les pays voisins à partir du Maroc. Pour son dirigeant Emeric Didier, le gagnant-gagnant existe: «Il faut utiliser les atouts de chaque pays à bon escient. Pour nous aujourd’hui, le ratio au niveau du nombre emplois reste déséquilibré. Pour un ingénieur en France on a 6 à 7 opérateurs au Maroc. Mais chacun s’y retrouve, chaque pays peut se développer sans que l’un ou l’autre ne tire la couette à lui. »
Le boom du Maroc
Le Maroc fait partie des pays organisateurs de la coupe du monde 2030 avec l’Espagne et le Portugal. Il vit et il va vivre une explosion économique. Tanger devrait créer jusqu’à 400 000 emplois, le pays aura bientôt la plus grande usine de dessalement du monde à Casablanca, les aéroports vont multiplier leur capacité. Leila Benali, ministre de l’énergie et du développement durable, évoque un « plan Mesmer » dans son secteur. « On va Multiplier par trois les investissements annuels dans les énergies renouvelables et les infrastructures et par cinq les investissements dans les réseaux. C’est un changement d’état d’esprit. Notre volonté c’est aussi d’avoir une interdépendance avec divers pays en la matière. C’est un gage de paix et la paix est synonyme de prospérité.»
« Travailler avec tout le monde »
Rodolphe Saadé était aussi au rendez-vous de ce forum Europe-Afrique. Le PDG de CMA-CGM constate que le commerce entre la Chine et les Etats-Unis s’est nettement réduit « de 60 % en ce qui nous concerne » mais le marché mondial reste soutenu en Asie, Europe, Amérique du Sud ou Afrique. « On aime travailler avec tout le monde, on croit dans un monde où le commerce est libre, où il y a un équilibre entre les pays et des possibilités de développement. »
Reportage Joël Barcy