Marseille. Procès de la rue d’Aubagne. 3 ans de prison ferme requis contre un ancien adjoint de la Ville et un copropriétaire

Publié le 13 décembre 2024 à  8h04 - Dernière mise à  jour le 20 décembre 2024 à  11h40

Les réquisitions sont tombées, à quelques jours de la clôture de ce procès qui aura duré 6 semaines. Pour 14 des 16 prévenus, le ministère public a réclamé des condamnations allant de 2 à 5 ans de prison, assorties d’amendes de 30 à 150 000 euros à la suite des effondrements mortels de plusieurs immeubles survenus rue d’Aubagne à Marseille le 5 novembre 2018. Des réquisitions qui satisfont les parties civiles mais que la défense va contester.

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Nicolas Bessonne, procureur de la République de Marseille et Michel Sastre, vice-procureur, ouvrent les réquisitions ce jeudi 12 décembre © Joël Barcy

 Un réquisitoire à deux voix

Pour ce procès hors normes le ministère public a opté, fait rare, pour un réquisitoire à deux voix. Le procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone s’est déplacé et a revêtu sa robe de magistrat. Une manière de montrer que « la quintessence du ministère public est de protéger les plus faibles». Pour lui : «Les effondrements ne doivent rien au hasard, à la fatalité, ou encore à la pluie ». Comme la municipalité Gaudin avait pu l’évoquer. «Ce procès n’est pas une simple affaire judiciaire, insiste-t-il, c’est une blessure dans le cœur de Marseille. La cité phocéenne possède le triste record de l’habitat indigne. 40 000 logements sont répertoriés dans le rapport Nicoll. Cette catastrophe a apporté un terrible éclairage sur l’habitat indigne. Elle a mis sur le devant de la scène ce que l’on ne voulait pas voir. Ces morts injustes ne l’ont pas été pour rien ». Le procureur de la République a aussi salué l’action des associations citoyennes qui ont servi d’aiguillon à la justice. « Souvent les magistrats sont emportés par une sorte d’impériosité or ces actions collectives sont complémentaires ». Et de conclure en indiquant que le ministère public fera « des réquisitions fermes mais sans excès et adaptées aux fautes de chacun».

« Drame de l’attentisme et de la cupidité »

Pour le vice-procureur Michel Sastre, l’effondrement de la rue d’Aubagne, « c’est le drame de l’attentisme et la priorisation d’enjeux économiques. Ils l’ont emporté sur les aléas du risque. Tous les locataires avaient peur pour leur vie, leur sécurité, leur sûreté. En outre ils ont été soumis à des conditions indignes de logement ». Michel Sastre passe en revue le rôle de chacun et sa responsabilité dans l’effondrement.

Richard Carta, un expert pressé

Richard Carta, l’expert qui a autorisé les locataires à regagner leur immeuble le 18 octobre 2018 peu après un arrêté de péril grave et imminent est accusé de « manquements graves ». Un expert pressé (il prenait un avion pour ses vacances le lendemain) «qui a failli à la rigueur professionnelle de sa mission. Il n’aurait pas pu empêcher l’effondrement mais aurait pu mettre les habitants à l’abri », juge le vice-procureur qui réclame: « Une condamnation à 3 ans de prison assortis d’un an de sursis, 45 000 euros d’amende et interdiction d’exercer une profession en lien avec l’expertise ».

« Auteur indirect du drame »

Le rôle de Julien Ruas, est ensuite évoqué. L’ex-adjoint à la sécurité de Jean-Claude Gaudin demeure la tête baissée tout au long du réquisitoire, sévère, à son endroit. « Vous aviez une délégation noble, celle de la sécurité et de la sauvegarde des populations, entame le vice-procureur. Vous êtes un homme de terrain mais uniquement avec les marins-pompiers, l’habitat indigne ne vous concernait pas. Vous ignoriez tout de votre service. Vous ne connaissiez même pas le nombre de fonctionnaires, ni les chefs de services. Vous avez même réduit les effectifs chargés de la sécurité civile urbaine. Vous n’avez à aucun moment eu la volonté de dépenser de l’argent pour la sécurité des citoyens. Votre comportement est inadmissible. Si des travaux avaient été réalisés et des informations données, nous n’aurions pas ses 8 victimes ». Michel Sastre demande alors au tribunal de condamner julien Ruas « sinon ce serait donner une immunité de principe à un élu. Je réclame 3 ans de prison ferme, 45 000 euros d’amende et une interdiction d’exercer dans des  métiers liés à la sécurité ».

Les copropriétaires premiers responsables

Le procureur concède que c’est assez inédit de requérir contre des personnes qui ne sont pas poursuivies. «Mais son analyse a évolué au cours d’une audience très fouillée où parties civiles et défense ont pu apporter des éléments ». Elle l’a amenée à réviser le dossier. « Il en ressort que les copropriétaires sont les premiers responsables. Ils ont tous joué la montre pour dépenser le plus tard possible et le moins possible. Le business plan, c’était la rentabilité locative avec un rendement à 2 chiffres. Il faut faire porter un risque pénal fort sur ces investisseurs de malheur ». Le procureur estime que Xavier Cachard, ancien élu régional, avocat de syndic et copropriétaire, était parfaitement informé du péril du N°65. «Quand le cabinet Betex a indiqué que la restructuration coûterait 185 000 euros votre réaction a été : « c’est quoi ce truc ». Vous ne vouliez effectuer aucun travaux ».  Le procureur réclame ;« 5 ans de prison dont deux avec sursis et 150 000 euros d’amende.» Pour un autre copropriétaire Gilbert Ardilly une condamnation à « 4 ans de prison dont deux avec sursis et 50 000 € d’amende. Deux ans de prison dont un avec sursis pour son fils Sébastien ». Michel Sastre requiert ensuite contre Michel Bonetto un autre copropriétaire, une condamnation à 4 ans de prison dont deux avec sursis. Son fils à une peine de 2 ans dont un avec sursis. Une condamnation à 2 ans dont un avec sursis est enfin réclamée pour Sylvie Coellier.

Autres condamnations

A l’origine, l’arrêt de renvoi comprenait deux personnes morales : Marseille habitat et le cabinet Liautard mais comme pour les copropriétaires les choses ont évolué. Parmi les prévenus, se sont retrouvés le gérant du syndic Jean-François Valentin et Christian Gilles l’ex-directeur général de Marseille habitat. Le Parquet a requis 200 000 euros d’amende contre le bailleur social du N° 63 et une condamnation à 30 mois d’emprisonnement, 30 000 euros pour Christian Gilles a qui il est reproché son attentisme, son absence de contrôle sur l’immeuble. Jean-François Valentin hérite du même souhait de condamnation avec une interdiction de toute activité liée à l’habitat.

Satisfactions des associations

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Les représentants des associations qui ont été de tous les combats pour que justice soit faite pour les 8 victimes de la rue d’Aubagne (Photo Joël Barcy)

 Les associations « Marseille en colère » et « le collectif du 5 novembre » ont savouré les paroles du procureur de la République. Nicolas Bessone a salué «la révolte citoyenne, le metoo du logement avec #balancetontaudis. Cette action citoyenne a été complémentaire, elle n’a pas été une concurrence ». Pour Kaouther Ben Mohamed, la présidente de « Marseille en colère » se félicite du fait que «le ministère public reconnaisse publiquement le travail de la société civile. C’est très important pour nous, ça nous encourage encore plus ». Elle se félicite aussi de la volonté du parquet de Marseille « de lutter contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil et d’en faire une priorité comme la lutte contre le narcobanditisme ». Kevin Vacher, cofondateur du collectif du 5 novembre, constate qu’«il est rare que l’on réclame la condamnation de personnes qui ne sont pas poursuivies au départ. Cela montre que les parties civiles et leurs avocats ont joué un rôle très important d’aller attaquer la responsabilité des propriétaires, du syndic, de la ville etc. Cela montre la systémie que le parquet reconnaît avec des demandes de condamnations assez fortes pour l’ensemble des prévenus».

Reportage Joël BARCY

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