OFF d’Avignon. « Ce que j’appelle oubli », un uppercut inoubliable

On ne sort pas indemne de « Ce que j’appelle oubli ». En quittant la salle, les coups, les bruits, les odeurs résonnent encore jusqu’à la nausée. Le texte de Laurent Mauvignier évoque l’absurde, la haine qui conduit au drame. Luc Schiltz évolue seul sur scène et nous tient en haleine du début à la fin de la pièce.

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« Ce que j’appelle oubli » © Bohumil Kostohryz

Pitch

Un homme entre dans un supermarché. Dans le rayon des boissons, proche de l’entrée, il saisit une canette de bière, l’ouvre et la boit. Quatre vigiles surgissent, l’emmène dans la réserve et le tabassent à mort. Pour rien. « On ne doit pas mourir pour une canette de bière », dira le procureur lors du procès. Cette fiction est inspirée d’un fait divers qui s’est déroulé à Lyon en 2009.

Décor glacial

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« Ce que j’appelle oubli » © Bohumil Kostohryz

L’espace est minimaliste, froid. Des lames de plastique transparentes, comme celles qui séparent les réserves dans les supermarchés sont éclairées d’une lumière froide et découpent la scène entre ombres et transparences . Elles sont le témoin alternativement de la violence et des silences. Le narrateur s’adresse à son frère, à nous en fait. « S’il avait pu survivre il se serait demandé, pourquoi vous m’avez méprisé, moi ? Est-ce que c’est à cause de mon survêt’ et d’un tee-shirt ? De mes cheveux ? de mon visage ? de mon allure ? Est-ce vraiment pour cela que vous avez cru pouvoir vous défouler sur moi ? »

Un rythme haletant

Dans un monologue haletant, tendu, Luc Schiltz donne une voix à ce marginal sans défense. Il retrace son parcours décousu. Sans doute a-t-il eu une vie classique puis est entré dans la marge. Sa respiration semble parfois suspendue comme le souffle de l’homme qu’on tabasse qui n’a ni nom, ni prénom. «Il n’a pas résisté, n’a pas crié, n’a pas cherché à fuir quand il a été interpellé par les vigiles pour être battu à mort au milieu du stock de conserves. » On bascule dans l’absurde.

La mécanique de la haine

Derrière ces bandes plastiques et la banalité du fait divers, Laurent Mauvignier questionne. Quel est le déclencheur de cette haine qui s’abat sur le marginal ? Quel engrenage mène à l’inéluctable ? Peut-être simplement la différence. L’autre qui n’est pas mon semblable, ne correspond pas à mes canons, mène une vie oisive est une menace glaçante. La peur entraîne le rejet, la distance, la volonté que l’obstacle disparaisse. On est pris de vertige quand on compare prix d’une canette de bière et prix d’une vie. Pourquoi ces 4 hommes ont tué voire ont pris plaisir à tuer ? Au procès, comme la majorité des tueurs, ils se dérobent, s’accusent mutuellement, contestent être les auteurs de sa mort : « Il s’est débattu… Il était déjà mal en point. »

Lutte contre l’oubli

A travers cette tirade à couper le souffle, Laurent Mauvignier veut éviter que l’humanité ne sombre dans la haine de l’autre, que la barbarie ne l’emporte. On est proche de l’étouffement quand le rideau tombe. On est ce marginal mort pour rien dans d’atroces souffrances sans comprendre ce qui lui arrive. On est recroquevillé comme un fœtus. Impossible d’oublier.

« Ce que j’appelle oubli » de Laurent Mauvignier , Théâtre le 11  d’Avignon à 11h45  jusqu’au 24 juillet

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