Paris. Théâtre de l’œuvre. « L’effet miroir » un bijou théâtral déjanté signé Léonore Confino et mis en scène par Julien Boisselier

Dans sa pièce « L’effet miroir » Léonore Confino offre un huis clos familial d’une énergie débordante. Ce moment de théâtre irrésistible que l’on peut voir à Paris au Théâtre de l’Oeuvre jusqu’au 13 janvier 2024 se présente comme un huis clos familial.

Destimed Leffet Miroir Photo Fabienne Rappeneau copie
«L’effet miroir» : une pièce forte avec quatre comédiens au diapason. (Photo Fabienne Rappeneau)

De la dramaturge Léonore Confino on se souvient de la pièce « Le poisson belge » programmée en novembre 2016 au Jeu de Paume d’Aix qui a donné à Géraldine Martineau et Marc Lavoine des rôles en or. Grande Monsieur, un vieil homme solitaire, voit sa vie bouleversée par l’intrusion de Petite Fille qui s’invite chez lui. Une confrontation tendre et savoureuse entre deux êtres qui n’en forment peut-être qu’un. Grande Monsieur (Marc Lavoine) et Petit Fille (Géraldine Martineau) sont de bien curieux personnages. Hors des normes. Lui porte des boucles d’oreille en perles, vit seul dans un appartement et se nourrit de soupes lyophilisées aux champignons et de Youpichocs. Elle, est une enfant déjà perdue avant-même d’avoir atteint l’adolescence : fille de psychanalystes, asthmatique et curieuse, elle aime les Youpichocs, les monstres marins, les poissons et imiter les handicapés. Petit fille et Grande Monsieur ont bien plus d’une chose en commun (au-delà du fait qu’ils portent le même prénom et aiment les Youpichocs). L’un et l’autre sont enfermés dans leur mal-être et ne cherchent qu’à en sortir. L’une en se mutilant des branchies de poisson sur le corps pour respirer, l’autre en tchattant sur internet avec de drôles d’oiseaux.

On y décelait toute la force d’écriture de l’autrice dont a salué l’an dernier au Rond-Point de Paris la très émouvante pièce « Le village des sourds ». Youma Vlozomir, quatorze ans, sourde, vit à Okionuk, village perdu au nord du globe. Là, les habitants possèdent un trésor : leur langage. Mais Youma observe les glissements de son paradis polaire, quand un marchand débarque pour vendre des objets inutiles et indispensables. Les villageois n’ont pas d’argent, le marchand leur propose de payer en mots. Cent vocables pour un grille-pain. Et la langue disparaît, peu à peu. On élimine les termes non essentiels, puis les autres. La pénurie de vocabulaire attise les violences et les rivalités. Youma et son interprète, Gurven cinquante ans, d’origine belge, sont venus nous alerter : ils sont les seuls à avoir conservé une langue de résistance, la langue des signes. Jérôme Kircher y partageait la scène avec Ariana-Suelen Rivoire qui s’exprime en langue des signes française. Tandis que Catherine Schaub, familière de l’univers de Léonore Confino (elle a mis en scène ses pièces Parlons d’autre chose, Le Poisson belge, Les Uns sur les autres, Ring, et Building) signait une plongée bouleversante dans ce texte à plusieurs entrées.

Un huis clos familial

Inventivité intacte de Léonore Confino avec « L’effet miroir » pour un quatuor de personnages en huis clos.  Ça vitupère, ça se cogne, ça se jauge, ça se juge, ça s’aime, ça sème des paroles un peu empoisonnées, le temps d’un récit en trompe l’œil. Avec toujours une réflexion sur la puissance des mots et la nécessité de la poésie.

Au centre Théophile, un écrivain à succès sur le déclin. Il retrouve enfin son inspiration avec l’écriture d’un conte poétique et aquatique. Mais l’interprétation du texte par ses proches se révèle burlesque : tous s’identifient aux personnages, décelant dans les métaphores des messages cachés. S’ensuit un dîner ubuesque où fusent règlements de compte et secrets de famille. Sur scène une distribution cinq étoiles avec quatre comédiens exceptionnels : François Vincentelli (Théophile), Catherine Anglade (Irène son épouse) Eric Laugiéras (William, le frère de Théophile), et (la palme lui revient tant elle est hors normes dans ce personnage fantasque) Jeanne Arènes incarne Jeanne, la belle-sœur de Théophile, femme de William.

Disons-le d’emblée, la mise en scène de Julien Boisselier qui ne surligne jamais le texte, tire l’ensemble du côté de la psychanalyse. Il pose sur la scène un miroir qui, c’est dans le texte, joue un rôle de révélateur-aspirateur-repoussoir et qui reste celui où les personnages se reflètent et où, le spectateur prend appui pour percer à jour les intentions des uns et des autres. Il traite chacun des protagonistes comme des ogres de désir, de ressentiment, et d’amour aussi.

Très pédagogique, un rien d’obédience sartrienne (on renforce l’idée que « L’enfer c’est les autres ») « L’effet miroir » souffre néanmoins de manquer de mystère. On comprend tout, rien n’est laissé au hasard, mais on soulignera la puissance du texte, son côté drôle et émouvant, et le jeu très choral des comédiens. En architecte des situations, montrant comme le veut Léonore Confino, combien cette fable poétique créée par Théophile avec vue sur la forêt des contes et l’univers aquatique peuplé de poulpes, sirènes, bigorneau, et autres berniques recèle de secrets inavouables. Julien Boisselier colorise les sentiments de ce quatuor impressionnant de présence. On rit, on est émus, comme dans la vie en somme. Et Léonore Confino dont les derniers mots prononcés par Théophile qui explique qu’enfin le bigorneau de son histoire n’échangerait plus au final son reflet pour aucun autre et se verrait pour la première fois tel qu’il se ressentait de proposer une pièce sur le pouvoir ensorceleur de la littérature. Et la force créatrice de ceux qui s’y plongent jusqu’au vertige.

Jean-Rémi BARLAND

«L’effet miroir» par Léonore Confino. Texte publié chez Actes Sud-Papiers couplé avec «Le village des sourds». 91 pages – 15 €

Pièce à voir au Théâtre de l’Oeuvre- 55,  rue de Clichy –  75009 Paris jusqu’au 13  janvier 2024. Du mercredi au samedi à 21h. Le dimanche à 18h. Réservations au 01 44 53 88 88
ou sur theatredeloeuvre.fr

Destimed Leffet miroir Theatre de loeuvre affiche

 

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