Paris. Théâtre du Splendid. « Les marchands d’étoiles » interroge : «Aurais-je été dans le camp des salauds ou des bons ?»

On ne sort pas indemne de cette pièce d’Anthony Michineau « Les marchands d’étoiles». Plus que jamais avec les nationalismes qui frappent à différentes portes et les phobies de toutes sortes, ce spectacle sur le devoir de mémoire, sur ce qu’était la France en 1942, avec ses dénonciations, ses monstruosités, nous questionne. Qu’aurais-je fait ? Aurais-je été dans le camp des salauds ou des bons ?

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“Les marchands d’étoiles” ©Florian Cleret

 

Les marchands d’étoiles

En pleine occupation, la famille Martineau, ni collabo ni résistante, essaye de continuer à vivre normalement dans son magasin de tissus en gros. Elle a même récupéré le marché des étoiles jaunes pour toute l’Europe, une affaire juteuse dont elle s’enorgueillit et qui lui permet de bénéficier du marché noir. Un soir d’inventaire tout le monde est réuni. Le couple, sa fille et les deux employés badinent, se querellent tandis qu’on entend des tirs par le fenestron. Mais quand un des employés de l’atelier révèle qu’il a un père breton et une mère juive et que l’autre salarié a pour ami un collabo zélé, tout explose. Comment gérer ce lot d’informations pour le patriarche.

Pour mémoire

« Il n’y aura jamais assez de pièces, livres, peintures, films, opéras pour dénoncer et prévenir les peuples du danger du nationalisme ou du populisme radical. Alors on raconte des histoires pour mémoire», insiste Anthony Micheneau dans sa note d’intention. La réussite des « Marchands d’étoiles » est de montrer que les choix faits par des gens banals peuvent entraîner de lourdes conséquences. Salauds ou héros, le destin de chacun bascule vite. Qu’aurions-nous fait ? la pièce alterne humour et tragique. Après chaque scène où la tension est extrême, où la peur s’installe à chaque coup porté dans la porte, signe d’une menace répondent les blagues de Raymond (Guillaume Bouchède) qui aurait pu jouer dans un film de Pagnol.

Le message passe

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“Les marchands d’étoiles” ©Florian Cleret

La banalité peut tuer c’est en filigrane la démonstration d’Anthony Micheneau. Sous l’occupation des Français ont collaboré, d’autres ont résisté, pas les plus nombreux, mais la majorité a continué à se laisser guider par la banalité de la vie, avec ses faiblesses. Cette soirée d’inventaire sert de révélateur, on ne choisit pas d’être un héros ou un salaud mais on peut agir, s’interroger avant d’aller vers la facilité, vers un petit bonheur coûteux, un enrichissement délétère. Une haine de l’autre. Le texte que porte Marcel, le milicien est effroyable :  « Les youpins au gaz, comme les cafards, sauf quelques-uns ». Cynique, puant à l’extrême il vient perturber l’insouciance de cette soirée d’inventaire. « Il faut être dans le camp des vainqueurs », résume le plus vieil employé de la maison et ami du collabo. Un homme discret, sérieux, fidèle à son patron mais capable de prendre une route dangereuse pour bénéficier d’un avenir plus grandiose. Le pouvoir se gagne par nos bassesses.

Mise en garde

Dans son propos Anthony Martineau nous adresse une mise en garde : « C’est notre devoir de le répéter et de maintenir la flamme du souvenir : la violence des mots, des actes, des choix d’aujourd’hui auront des conséquences tragiques demain. Comment on le sait ? Parce que cela s’est déjà passé hier.» A l’heure où les algorithmes nous dictent notre conduite, où le communiste Gramsci et son concept d’hégémonie culturelle est récupéré par l’extrême droite, « Les Marchands d’étoiles » invitent à réfléchir, à ne pas se laisser emporter par la vague nationaliste qui déferle.

Joël BARCY

« Les marchands d’étoiles », théâtre du Splendid du mercredi au samedi à 21 heures. Dimanche à 17 heures jusqu’au 29 juin.

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