Publié le 30 janvier 2020 à 18h11 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Avec une dizaine d’élèves, Manù, dessinateur et professeur, investit Angoulême et son prestigieux festival pas plus tard que ce 30 janvier. L’occasion de présenter le travail de ses «loulous», à savoir la réalisation de carnets de voyage, concept qu’il a lui-même incarné, dans une furieuse envie de déstructurer les poncifs. Retour sur un artiste atypique.
Déchirure identitaire
Angoulême n’a rien d’un hasard. Avant de «tomber dans la marmite de l’aquarelle», Manù rêvait de faire ses armes dans l’univers de la Bande Dessinée. Quittant sa Corse natale, il intègrera les Beaux-Arts à Angoulême, après s’être préparé au concours pendant deux ans à Marseille, au sein de l’académie Kieffer. Il y rencontrera André-Pierre Hardy, son maître d’aquarelles, par lequel s’opèrera le déclic. « L’avantage de l’aquarelle, c’est sa capacité de vitesse. En quelques minutes, quelques jours, voire un peu plus, on voit le résultat. Contrairement à la peinture à l’huile qui réclame bien davantage de temps ! Et puis, on y met son âme, on ne peut pas tricher. Tout est dans le premier jet, dans l’impulsion. Contrairement à l’huile ou l’acrylique, où l’on peut retoucher à l’envi. » En somme, toujours ce rapport au temps et à l’absolu… Puis il finit, au troisième coup, par décrocher le fameux sésame et intègre l’école des Beaux-Arts, posant ses valises en Charente. «C’était une période où il y avait tellement d’espoir pour la BD. Tout le monde y croyait ! Mais j’avais un doute sur son devenir». Il anticipait déjà le digital, il avait l’intuition que les vecteurs, les supports changeraient radicalement, induisant de nouveaux modes d’usage. Manù passait néanmoins sa vie au Centre national de la BD et de l’image, forte de plus de 100 000 ouvrages. Et c’est justement ce foisonnement qui va le pousser à chercher un positionnement différent pour son travail : «À quoi bon faire de la BD si c’est juste pour se trouver parmi autant d’autres volumes ? Et moi je suis quoi ? Un mec qui dessine comme s’il était à l’usine ? Qui ne produit qu’en série des choses répétitives, en faisant évoluer toujours le même personnage ?» La déchirure identitaire est prégnante. C’est alors qu’il écume les concepts d’albums les plus étranges pour pouvoir se trouver. D’où la création de son concept, le dogme 99, inspiré dans la démarche du 95, lancé dans l’univers cinématographique. Un seul impératif : balayer ce qu’on lui a appris, «tout péter dans la technique narrative» pour tout reconstruire. CDB 67, son premier album, en sera le fruit. «Je suis le héros et j’invite le lecteur dans ce carnet de bord. Il y suit l’itinéraire d’un dessinateur à la fin de sa vie, il découvre son passé. Chaque jour est rempli d’indices. Et il n’y a aucune limite : on trouve dans ce carnet du crayon, de l’aquarelle»… Au point même que cela rendra les éditeurs perplexes, faute de pouvoir ranger l’ouvrage dans une catégorie précise. C’est donc par le biais de l’autoédition qu’il lui donnera vie.
En quête d’éditeurs
D’autres CDB toucheront des thèmes beaucoup plus variés : un simple poème, le Pôle Emploi ou encore… sa propre mort. Mais outre ce concept, il réalise des carnets de voyages ou de souvenirs d’aquarelles sur des lieux précis. Notamment sur la Charente, mais surtout sur sa Corse natale. Cette dernière fera notamment l’objet d’un livre, «La Corse en aquarelles», qui remportera un grand succès. «L’aquarelle est mon refuge secret», observe-t-il. Elle le lui rend bien. Ainsi depuis quelques années, il entreprend de la transmettre, via ses cours virtuels. «J’ai commencé par des vidéos, j’y désacralisais tout. Avec un parti pris technique : l’utilisation du slow motion ». Devant le succès et le nombre de vues, il institutionnalise la chose et crée donc ce club virtuel. Il teste par ailleurs le matériel pour aquarelles de marques reconnues. C’est ce qui l’amènera à concevoir avec Isabelle Roelofs, fondatrice d’Isaro, une «Manù Box» dans laquelle chaque pièce est numérotée, ce qui facilite le guidage des élèves lors des cours. Et l’année 2020 s’annonce dans une floraison de projets. Elle commence donc avec cette présence au festival d’Angoulême. Elle se poursuivra, au sein du club virtuel, avec la création de nouveaux carnets de bords et de voyages. «Le site va par ailleurs recenser tous les tests de matériels à travers le monde». Enfin, il peaufine deux idées de livres pour lesquels il va se mettre en quête d’éditeurs. Le mystère reste pour l’heure entier sur leurs thèmes… Mais connaissant le rapport au temps de Manù, gageons que ce voile-là sera bientôt levé.
Carole PAYRAU