Retour sur… Medef Sud. Nouveau Cap : le think tank des territoires se jette à l’eau

Nouveau Cap, le think tank créé et incubé par le Medef Sud, vient de publier son cinquième rapport. Il est consacré aux enjeux de l’eau en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

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(Photo Joël Barcy)

Depuis la sortie de son premier rapport, le think tank Nouveau Cap n’a cessé de s’emparer de sujets d’intérêt majeur pour les entreprises : qu’il s’agisse de la démocratie (2018), de la fiscalité (2019), de l’Europe (2021) ou encore de l’alternance (2022), «Nouveau Cap s’est toujours efforcé de dresser des constats pragmatiques assortis de propositions réalistes». Alors que le changement climatique n’est plus une perspective mais une réalité aux conséquences visibles pour les entreprises, celles-ci n’ont d’autre choix que de s’adapter pour adopter un modèle durable. Il en va de la préservation de notre environnement bien sûr mais aussi de la pérennité de leurs activités. Parmi les conséquences les plus visibles de cette crise climatique, la question de la ressource en eau figure en haut de la liste. Pour Nouveau Cap : « En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, cette problématique questionne le devenir du territoire et sa durabilité ; avec des conséquences directes sur l’attractivité de la région, son dynamisme économique mais aussi la cohésion territoriale qui dépend des nombreux usages dont l’eau fait l’objet. » Dans ce contexte « ce rapport s’attache à présenter en quoi la préservation de l’eau doit être considérée comme un impératif tout autant écologique qu’économique et stratégique pour notre territoire», explique le Medef Sud.

« En un peu plus de 90 ans (de 1917 à 2011) on note un recul de 43 % du linéaire côtier des Bouches-du-Rhône »

Un document qui met notamment en exergue le fait qu’ « en un peu plus de 90 ans (de 1917 à 2011) on note un recul de 43 % du linéaire côtier des Bouches-du-Rhône, de 45 % du linéaire côtier du Var et plus de 53 % du linéaire côtier des Alpes Maritimes. » Il note également : « Outre le littoral, la question de la pérennité du territoire se pose également pour les zones montagneuses de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui apparaissent elles aussi comme des exemples très concrets du changement climatique avec un lien direct avec les ressources en eau. En effet, on constate que la température de l’air, qui a d’ores et déjà augmenté de près de 2 degrés dans les Alpes du Sud, par rapport à l’ère préindustrielle, provoque depuis des décennies un recul des glaciers, un enneigement en basse et moyenne altitude moins abondant ainsi qu’un dépérissement du sapin – questionnant là aussi la viabilité du territoire montagneux. Ces changements de paysage, qui soulèvent des questions environnementales, provoquent aussi une nécessaire adaptation du positionnement économique et stratégique des communes confrontées à cette réalité. »

« Pour garantir de l’eau pour tous, il faut restaurer son cycle naturel »

Annick Mièvre, directrice de la délégation Paca Corse de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse signale dans le document : « Dans le contexte du changement climatique, pour garantir de l’eau pour tous, il faut restaurer son cycle naturel. » L’agence de l’eau, établissement public de l’État, existe depuis 1964 et met en œuvre le volet financier de la politique de l’eau en faveur d’une gestion équilibrée de l’eau. « Les préoccupations autour de l’eau ont beaucoup évolué en soixante ans : si au départ l’objectif était de doter le territoire en eau potable, c’est ensuite la question du traitement des eaux usées qui a été abordée. Depuis la parution du 11ème programme de l’agence de l’eau (2019-2024) l’accent a été mis sur la restauration des milieux naturels», souligne Annick Mièvre. Face à un cycle de l’eau très perturbé par l’urbanisation et les effets du changement climatique, l’enjeu est en effet de restaurer le cycle de l’eau, en permettant à celle-ci de s’infiltrer via des sols perméables et vivants et de redonner aux rivières et aux zones humides leur fonctionnement le plus naturel possible. C’est par ce biais que les territoires pourront disposer de suffisamment d’eau et limiter les pollutions qui se concentrent quand l’eau manque dans les rivières. La priorité de l’agence de l’eau est ainsi de restaurer le « bon état » des eaux autour de trois missions principales : une mission de connaissances, partagée avec la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) via le Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) ; la collecte des redevances, auprès de l’ensemble des usagers qui prélèvent et/ou polluent l’eau ; le financement de projets qui vont permettre de contribuer à l’atteinte du « bon état » des eaux.

« Plusieurs actions sont d’ores et déjà mises en œuvre par la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur »

Nouveau Cap note également que « plusieurs actions sont d’ores et déjà mises en œuvre par la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui a fait de la question de l’eau une priorité. » Depuis 2018, la Région mène à bien une mission d’animation et de concertation dans le domaine de la gestion et de la protection de la ressource en eau et des milieux aquatiques et se positionne comme « animatrice de la politique de l’eau en région dans un esprit de concertation, de partenariat et de régulation, aux côtés de l’État et de l’Agence de l’eau.» C’est dans ce cadre qu’elle a voté, en mars 2023, l’adoption d’un Plan Or Bleu, doté d’une enveloppe de 620 millions d’euros, destiné à économiser la ressource et à en repenser la gestion. Composé de six axes majeurs, ce plan définit trois priorités : « Adopter la sobriété dans tous ses domaines de compétences, faire preuve de solidarité entre l’amont et l’aval et entre les usagers, miser sur l’innovation en réutilisant les eaux usées, en généralisant le goutte-à-goutte ou en soutenant la recherche. »

Les 11 propositions de Nouveau Cap

Pour faire face au défi d’une gestion Partagée et durable d’une ressource rare et Précieuse Axe 1 : Renforcer la connaissance et repenser nos pratiques individuelles et collectives en faveur de la sobriété

 

Proposition n°1: Assurer une meilleure connaissance et compréhension des enjeux liés à la ressource en eau auprès des entreprises et citoyens. Les périodes de sécheresse sont propices à l’apparition de conflits entre les nombreux usagers de l’eau (entreprises, agriculteurs, citoyens…). Afin de permettre un partage de la ressource cohérent, compris et accepté par tous de manière durable, il semble indispensable de procéder à un diagnostic collectif et local ; s’appuyant sur une connaissance partagée quant à la disponibilité de la ressource, aux enjeux associés ainsi qu’à la gouvernance.

Proposition n°2: Sensibiliser et responsabiliser les acteurs quant à leur usage. Outre le fait de renforcer la connaissance, il nous semble primordial d’associer la compréhension du sujet à une démarche de sensibilisation permettant de responsabiliser l’ensemble des usagers et de les inciter individuellement à enclencher une véritable démarche de sobriété quant à leur utilisation de la ressource.

Proposition n°3: Intégrer la question de la ressource en eau comme un véritable facteur de risque pour les entreprises. Au même titre que certains risques, une gestion durable de la ressource en eau au sein des entreprises mériterait de faire partie intégrante de leur stratégie, qu’il s’agisse du volet RSE ou du reporting extra-financier. Cette prise en compte du « risque eau » de façon permanente s’avèrerait utile, de façon préventive, afin que la problématique de la ressource ne se pose pas seulement au moment des périodes de sécheresse, où les conflits d’usage sont susceptibles d’intervenir.

Axe 2 : Faire de l’investissement en faveur de la modernisation et de l’innovation une priorité.

Proposition n°4: Orienter les investissements vers un usage multiple de la ressource. Pour permettre aux différents acteurs de bénéficier, en fonction de leurs besoins, équitablement de la ressource, les investissements publics réalisés gagneraient à profiter à tous. Le multi usage, envisagé dans une perspective de long terme (par exemple : combiner la lutte contre les inondations en hiver avec l’approvisionnement en été…) serait utile pour mutualiser les coûts et préserver la ressource.

Proposition n°5: Moderniser les réseaux en déployant des solutions innovantes. Pour prévenir les fuites et casses au niveau des réseaux d’eau et d’assainissement, la modernisation des réseaux -via leur digitalisation notamment- permettrait une gestion prédictive, utile pour orienter les investissements au bon endroit au bon moment. Le déploiement de solutions digitales innovantes pour monitorer les réseaux permettrait ainsi une gestion optimisée des infrastructures et de la ressource.

Proposition n°6: Développer les infrastructures et dispositifs pour optimiser la mobilisation de la ressource. Si la préservation de la ressource passe par des actions pouvant être mises en œuvre au niveau individuel par les citoyens et les acteurs économiques, il semble également primordial d’investir dans les infrastructures de gestion de l’eau sur le temps long à l’image des raccordements, des canalisations, de la rénovation et création d’espaces de stockage. D’autres dispositifs mériteraient également d’être envisagés pour optimiser la gestion de la ressource, comme l’infiltration à la parcelle en désimperméabilisant certains espaces par exemple.

Proposition n°7: Renforcer la réutilisation des eaux usées pour atteindre au moins 10 % de recyclage au niveau national. Si les freins réglementaires concernant la réutilisation des eaux usées commencent peu à peu à être levés, elle mériterait d’être encore davantage déployée. Au-delà du recyclage interne aux entreprises, la réutilisation des eaux en sortie de station de traitement des eaux usées (urbaines ou industrielles) pourrait être favorisée dans le cadre des plateformes industrielles. À titre d’exemple, les rejets d’une usine agro-alimentaire pourraient être utilisés pour irriguer des parcelles agricoles à proximité ; à condition que chacun trouve un intérêt à ce flux d’eau et que les standards de qualité soient respectés.

Axe 3 : Repenser le cadre et la gouvernance.

Proposition n°8: Simplifier la gouvernance pour renforcer la cohérence des décisions. La multitude d’instances ainsi que le grand nombre d’acteurs chargés de définir les politiques de l’eau aboutissent à un système illisible menant à une lenteur des prises de décisions, à des incohérences territoriales ainsi qu’à un désintérêt de la part des citoyens et des acteurs économiques pour ce sujet jugé trop technique. La simplification de la gouvernance permettrait de fluidifier les processus décisionnels au profit d’une meilleure lecture des enjeux liés à la ressource. Par ailleurs, pour renforcer la sensibilisation des acteurs économiques aux enjeux locaux de sobriété et de qualité, ceux-ci gagneraient à être davantage associés et actifs dans les instances de gouvernance locale de l’eau.

Proposition n°9: Intégrer dans les modèles économiques un prix de l’eau qui tienne compte des coûts invisibles liés à la raréfaction de la ressource. Un prix de l’eau juste, tenant compte des coûts directs (ex : investissements, coûts de fonctionnement) et indirects liés à la raréfaction de la ressource (ex : risques de rupture d’approvisionnement, coûts liés à l’image, à l’adaptation aux réglementations…) mériterait d’être intégré dans les modèles économiques des entreprises et des territoires. Cette prise en compte dans les processus décisionnels faciliterait également les décisions d’investissement dans des solutions destinées à optimiser la gestion de l’eau. 64 Préserver l’eau en région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Proposition n°10: Trouver un équilibre entre la protection de l’environnement et le besoin de développement. À l’image d’autres projets, ceux liés à l’eau sont parfois le fruit d’une forte opposition et de recours juridiques. Afin d’assurer un juste équilibre entre protection de l’environnement et besoin de développement des infrastructures liées à l’eau, il convient de sécuriser en amont juridiquement les différents projets. Par ailleurs, afin d’accélérer sur l’utilisation de certains dispositifs (notamment sur les eaux non conventionnelles), certaines réglementations mériteraient d’être revues afin de lever les freins qui empêchent aujourd’hui le recours à ces solutions. Pour certains sujets -à l’image de la prévention des risques, de la gestion des ressources ou encore la réduction des pollutions-  la réflexion mériterait d’être portée au niveau européen.

Proposition n°11: Repenser le partage de la ressource. Au vu des enjeux de quantité et de qualité liés à la ressource en eau, les autorisations de prélèvement mériteraient d’être repensées au prisme de la ressource disponible et non pas des besoins. Cette appréhension du sujet implique alors d’envisager les différentes activités en fonction des efforts de réduction d’ores et déjà réalisés, du potentiel de réduction ainsi que de l’intérêt public.

 

L’analyse de Philippe de Fontaine Vive, ancien vice-président de la Banque européenne d’investissement

Le think tank  Nouveau Cap a rencontré Philippe de Fontaine Vive qui porte un autre regard sur les enjeux de l’eau en Provence-Alpes-Côte d’Azur à travers le Projet Provence Bleue. Missionné en juillet 2023 par EDF, la Métropole Aix-Marseille Provence, la Région Sud et la Préfecture pour étudier les conditions de faisabilité économique et financière de la dérivation de l’eau, au sortir du barrage hydraulique EDF de Saint-Chamas, Philippe De Fontaine Vive a imaginé le Projet Provence Bleue.

L’objectif était double : restaurer l’équilibre naturel de l’étang de Berre mais aussi alimenter, par une dérivation à construire, les zones en manque d’eau (notamment la zone industrielle de Fos) dont les besoins vont s’accroître avec les nouveaux projets industriels liés à la décarbonation. D’un point de vue technique, ce projet consisterait à prolonger la chaîne hydroélectrique Durance-Verdon jusqu’au Rhône permettant ainsi une production accrue d’énergie renouvelable et de nouvelles opportunités d’utilisation de l’eau sur le trajet. Pour le mener à bien, Philippe de Fontaine Vive plaide toutefois pour un changement de paradigme sur les enjeux de l’eau dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur : il ne s’agit pas de trouver des moyens pour la préserver mais pour la valoriser et en tirer parti le mieux possible. « Dans la région, l’eau ne doit pas être considérée comme un problème mais comme une solution. » Provence Bleue est ainsi conçu comme un véritable projet d’aménagement du territoire au profit de la valorisation énergétique et écologique de la ressource en eau qui permettrait :

  • Une réduction des restitutions en Durance (autour de 300 Mm3 contre 2 Mds actuellement) qui limiterait ainsi les perturbations sur le milieu;
  • Un transit de 2.7 Mds de m3 d’eau pouvant produire de l’énergie -jusqu’à 460 GWh- dans le dernier tronçon du canal EDF ;
  • Des restitutions d’eau douce dans l’Etang de Berre divisées par 2 (de 1.2 Mds aujourd’hui à 600 Mm3 demain) ;
  • De nouvelles opportunités de valorisation de l’eau à l’aval de l’usine de Saint-Chamas (plus de 2 Mds m3 / an disponibles).

Philippe de Fontaine Vive l’envisage comme une véritable opportunité, pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, de devenir un modèle de réussite d’une réindustrialisation moderne et décarbonée d’un territoire ; à condition cependant d’être porté par une dynamique collective et une véritable volonté politique. « On peut devenir le lieu exemplaire d’un virage stratégique sur la transition écologique, au profit de la réindustrialisation française, mais il faut une vraie prise de conscience et une impulsion. » Préserver l’eau en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Au-delà des questions locales liées à l’eau, à l’électricité et aux problèmes techniques qui en découlent, il est ainsi urgent de prendre de la hauteur pour envisager ces sujets sous l’angle de l’intérêt collectif pour le territoire. Alors que des études devraient être rendues en 2025, le lancement des travaux pourrait avoir lieu en 2028 pour une production en électricité verte envisagée en 2033.

Michel CAIRE

 

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