Rien d’allegro dans le rapport de la Chambre régionale des comptes sur l’Opéra de Marseille et l’Odéon

Publié le 17 juillet 2023 à  12h35 - Dernière mise à  jour le 4 août 2023 à  2h36

La Chambre régionale des comptes (CRC) Provence-Alpes-Côte d’Azur a contrôlé la commune de Marseille pour la gestion de l’Opéra et du théâtre de l’Odéon pour les années 2016 et suivantes et elle n’a pas vraiment été séduite.

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Opéra de Marseille (Photo Patricia Maillé-Caire)

L’opéra de Marseille (1 800 places) et le théâtre de l’Odéon (800 places) ont été réunis en 2013 sous une même direction. Ils sont gérés en régie municipale directe, c’est-à-dire comme un service de la ville de Marseille. Les deux équipements culturels, qui emploient plus de 350 agents et représentent plus de 20 M€ de dépenses de fonctionnement, « ne disposent d’aucun projet stratégique », est-il ainsi jugé par la CRC pour qui : « la fréquentation de l’opéra a été fortement affectée par la pandémie et le public tarde à revenir, celle de l’Odéon n’a pu être appréciée ».

« Aucun projet stratégique »

Des observations ont été formulées en matière de respect de la durée annuelle de travail pour plusieurs catégories de professionnels. Le tempo du rapport est vif et ne manque pas de piquant : « L’opéra et le théâtre ne disposent d’aucun projet stratégique. Aucun bilan annuel ne permet de retracer l’activité détaillée des deux équipements culturels. Ni l’orchestre, ni l’opéra ne disposent d’un label national. Depuis 2022, la commune émet toutefois le souhait de solliciter le label « opéra national  » en Région ».

Si l’heure n’est pas au requiem l’allegro n’est pas à l’ordre du jour : « L’activité de l’opéra et de l’orchestre s’infléchit au cours de la période examinée. La programmation, qui offre une large place aux spectacles lyriques, a vu le nombre d’œuvres et de représentations proposées se réduire au cours des cinq saisons examinées. Le nombre de concerts symphoniques est également faible et l’orchestre se produit peu en dehors de Marseille. L’activité du théâtre a également diminué », est-il signifié par la CRC.

Point question d’hymne à la joie lorsque l’on lit : « La fréquentation de l’opéra a été fortement affectée par la pandémie et le public tarde à revenir. Les modes de consommation ont également évolué. Le nombre d’abonnés diminue au profit d’achats de billets au coup par coup, moins propices à l’anticipation. La fréquentation du théâtre de l’Odéon n’a pu être appréciée, la commune n’ayant pu produire aucune donnée de suivi dans le temps ».

Et point question de Te Deum : « En l’absence de comptabilité analytique, la commune ne connaît pas le coût complet de ce service qui emploie pourtant plus de 350 agents et génère des dépenses de fonctionnement de plus de 20 M€ par an, soit l’équivalent du budget de fonctionnement d’une commune de 15 000 habitants. À la différence d’autres opéras en région, les apports des autres collectivités et de l’État sont limités et la commune en supporte majoritairement le financement ».

« Les recettes des spectacles sont faibles »

Pour la Chambre régionale des comptes : « Les recettes des spectacles sont faibles. Certains spectateurs bénéficient de places gratuites qui ont représenté l’équivalent de 2 M€ en cumul durant la période sous revue. La commune n’a pas délibéré pour en approuver le principe et ignore qui en sont les bénéficiaires, la plupart des places n’étant pas nominatives. Les tarifs sont bas, mais la commune ne peut les augmenter, au vu des conditions de confort qui devraient être améliorées ».

La chambre met également en exergue un recours croissant aux intermittents. Et Juge que « le temps de travail effectif des agents techniques n’est pas contrôlé par la commune, qui accorde des jours de récupération sur des bases théoriques ». Et d’ajouter : « Les musiciens n’effectuent pas le nombre de services (répétitions et représentations) prévu par le règlement de travail de l’orchestre. Certains d’entre eux cumulent plusieurs emplois à temps complet. Les choristes ont une durée effective de travail inférieure à la durée annuelle légale. L’opéra n’est pas en mesure de les occuper à plein temps. »

La chambre formule huit recommandations :

Recommandation n° 1 : procéder à une analyse quantitative et qualitative des publics de l’opéra et du théâtre de l’Odéon.
Recommandation n° 2 : mettre fin à la situation de précarité des agents vacataires qui remplissent une mission permanente pour la commune.
Recommandation n° 3 : contrôler le temps de travail effectif des agents techniques.
Recommandation n° 4 : mettre en adéquation les effectifs de l’orchestre avec son activité effective.
Recommandation n° 5 : suivre le coût complet des activités de l’opéra et du théâtre de l’Odéon dans le cadre de la comptabilité analytique.
Recommandation n° 6 : réaliser des bilans financiers d’exécution des contrats de coproduction.
Recommandation n° 7 : délibérer sur les attributions de servitudes et invitations et assurer la traçabilité des gratuités.
Recommandation n° 8 : intégrer les travaux terminés aux comptes d’affectation définitifs au bilan du budget annexe et procéder aux amortissements qui s’imposent.

« Son rayonnement doit être développé »

Le maire de Marseille répond à la Chambre en ces termes : « J’ai lu ce rapport avec attention et ne peux que partager la plupart des constats des magistrats sur cette institution culturelle, Opéra et Odéon à Marseille ». « Si la qualité de ses productions lyriques est établie et reconnue, poursuit-il, son rayonnement doit être développé. Il existe peu d’éléments d’analyse de ses publics ou de ses coûts, tant en termes de production que de fonctionnement, et son activité ne s’inscrit pas suffisamment dans une prospective de moyen et long terme ».

Benoît Payan annonce dans ce cadre : « C’est parce que ces problématiques ont été relevées et analysées que j’ai décidé d’engager en 2022 une démarche globale de repositionnement dans les politiques publiques culturelles, sociales et éducatives en cours de développement par la ville de Marseille. »

Opéra National en Région

En effet, la démarche initiée en vue de l’obtention du label « Opéra National en Région » constitue pour la Municipalité un cadre de transformation et un levier d’inscription du programme artistique et culturel au cœur d’une réflexion globale, tant sur les moyens affectés que sur la reconnexion de l’établissement à son territoire local, national et international, au sein de l’arc méditerranéen dans lequel s’inscrit Marseille.

Puis le maire de Marseille note « certaines divergences avec l’analyse réalisée par vos magistrats ainsi que sur les actions d’ores et déjà engagées ».

Concernant le volet artistique, il avance qu’« il existe bien un programme d’action culturelle ». Et il tient à rappeler : « La baisse de fréquentation et de l’activité est à nuancer au regard des saisons Covid et post Covid ». Pour lui : « La comparaison établie avec d’autres maisons lyriques, ne disposant pas de statuts identiques et bénéficiant de financements extérieurs plus importants, est peu parlante ».

« Les derniers spectacles se sont tenus à guichets fermés »

Benoît Payan met en exergue que : « contrairement à certains établissements qui ont du revoir à la baisse leur programmation du fait du poids accru des charges fixes, l’Opéra de Marseille a produit une saison pleine dont les derniers spectacles se sont tenus à guichets fermés ». Selon lui : « Certains des lieux cités comme potentiels lieux de concerts souffrent d’une acoustique inadaptée (la Major, l’Église des Réformés), reconnue en tant que telle par tous les musiciens et les mélomanes ». Il indique encore : « Deux tournées internationales étaient programmées en 2020, l’une en Chine et l’autre aux USA. Elles ont dû être annulées en raison de la pandémie liée à le Covid ». Et, à ses yeux, la comparaison entre les activités hors les murs de l’orchestre de Marseille et celles de l’orchestre Provence Méditerranée « n’apparaît pas opérante. En effet, la vocation première de ce dernier est de porter la musique sur le territoire de la communauté du Pays d’Aix ; il reçoit dans ce cadre des subventions du Conseil départemental et de la communauté de communes du pays d’Aix ».

Le théâtre de l’Odéon

Concernant le théâtre de l’Odéon et à sa faible fréquentation après la pandémie : Benoît Payan précise que « la diminution du nombre de dates est corrélée à la baisse du budget artistique, à la hausse des coûts de production et à la nécessité de laisser des plages de disponibilité du plateau afin d’accueillir le Théâtre du gymnase dont les locaux, propriété de la Ville, sont en travaux ».

Puis de répondre point par point aux questions administratives et de statuts posées par la Chambre en indiquant entre autres que « les besoins permanents exprimés par les services (Opéra/Odéon) font l’objet d’un processus d’autorisation de l’administration. Dès lors que les demandes sont autorisées, budgétées (remplacements) et délibérées (créations de poste), une déclaration de vacance d’emploi et une publication sont réalisées ».

« Un manque de candidatures adéquates »

En ce qui concerne, le recours à des contractuels sur des postes administratifs, Benoît Payan précise :« Il ne s’agit pas d’une règle ni d’une stratégie mais d’un manque de candidatures adéquates. Cette tendance est avérée depuis quelques années pour l’ensemble des employeurs publics. Faute de candidatures d’agents titulaires appropriées, voire pas de candidatures statutaires, la Ville a retenu des candidatures de contractuels »

Concernant le statut d’intermittent du Directeur Musical de l’Opéra, Benoît Payan note : « Le poste de directeur musical est avant tout un poste artistique. Il est actuellement recruté sous la forme de contrat d’intermittent, cela permet ainsi de faire appel à un artiste reconnu dans le monde musical ».

« Un apport financier en fin digne de la deuxième ville de France »

Jean-Claude Gaudin a également répondu, conjuguant recul et art de la fugue : « A l’évidence les indispensables corrections qui méritent d’être apportées pour répondre à vos recommandations seraient d’autant plus aisées à mettre en œuvre que notre opéra bénéficierait d’un apport financier en fin digne de la deuxième ville de France et de l’attachement d’un public fidèle et réputé exigeant qui dépasse largement le seul, cadre de notre ville ». Et d’ajouter : « Dans cette perspective je ne peux que souhaiter que mes observations se conjuguent avec vos recommandations pour être entendues et reprises en compte dans le cadre du plan Marseille en grand ».
Michel CAIRE

 

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