Tribune à 2 voix. Le Rabbin Emmanuel Valency et l’aumônier musulman Christian Jean : Engueuler Dieu…

Hai ! Ça fait mal ! Hai, est le cri d’une douleur, la traduction du même mot en hébreu et arabe désigne curieusement : « Vivant ». La violence que nous connaissons fait vibrer le monde avec ce HAI, avec toute la haine, la radicalisation et la confrontation sans limites. La République devra nous protéger des échos de ce HAI, avec toutes nos différences et nos croyances. Nous ne pouvons aimer Dieu sans aimer les Hommes. Le souffle de Dieu, le Verbe qui donne la vie le « Princep », c’est la Parole.  Parlons, encore et encore pour ne pas laisser mourir l’espoir et l’humanité en chacun de nous, parlons au-delà de nos différences sur ce qui nous uni, Dieu et l’Homme. Chaque semaine le Rabbin Emmanuel Valency et l’Aumônier Musulman Christian Jean, développent une tribune a deux voix pour la Paix et la Fraternité. C’est notre première tribune, soyez indulgents et contribuez !

 

Engueuler Dieu : le point de vue du judaïsme. Par le rabbin Emmanuel Valency

Destimed Rabbin Emmanuel Valency
Le rabbin Emmanuel Valency © DR

Dans l’imaginaire populaire, Dieu est souvent vu comme intouchable, dont nous, pauvres mortels, ne pouvons remettre en question Ses actions, se pliant devant Sa volonté en silence. Et pourtant, le judaïsme offre une perspective beaucoup plus nuancée sur la relation entre l’homme et Dieu. En d’autres termes, dans certaines circonstances, on peut engueuler Dieu.

Une tradition d’audace

Les textes bibliques sont peuplés de figures qui contestent, discutent, voire interpellent Dieu avec une audace saisissante.

Face à l’annonce de la destruction de Sodome, Abraham, le père du monothéisme, ne se contente pas d’un acquiescement pieux. Il négocie, il plaide, il se révolte presque osant remettre en question la justice divine (Genèse 18;25).

Après la faute du veau d’or, plutôt que de voir le peuple détruit, Moïse met sa propre existence en jeu (Exode 32;32). Il y a là un modèle de leader, mais aussi une profonde humanité.

Citons encore Job, cet homme juste, frappé par des malheurs terribles, qui hurle son incompréhension et sa douleur à Dieu, sans jamais perdre sa foi. Le Livre de Job est une protestation permanente contre une justice divine opaque.

L’intention qui compte

Dans le judaïsme, tout est une question de d’intention (en hébreu kavana). Ce n’est pas la colère elle-même qui est problématique, c’est ce qu’elle traduit. Si elle naît d’un cœur brisé, d’un besoin de comprendre, d’un sentiment d’injustice ou de désespoir sincère, alors elle est entendue. Dans la mystique juive on enseigne même que Dieu préfère les prières de ceux qui souffrent à celles des anges. Ainsi, crier vers le Ciel n’est pas un blasphème, c’est un acte de foi. Car on ne crie pas vers un mur mais vers Quelqu’un qu’on croit capable d’écouter, de répondre, d’intervenir.

La confrontation

Le judaïsme ne propose pas une foi servile. Il nous invite à une relation vivante avec Dieu pouvant même impliquer des tensions. Les rabbins vont jusqu’à dire que Dieu aime qu’on le défie lorsqu’on le fait avec justesse. Il ne veut pas des croyants passifs, mais des partenaires exigeants.

Un cri d’actualité

À l’heure où le monde est traversé par des guerres, des injustices, des souffrances insondables, il est naturel de ressentir de la colère. Face au silence apparent du Ciel, nous avons parfois envie de crier : « Où es-Tu ? », «  Pourquoi ? », «  Jusqu’à quand ? ». Le judaïsme ne nous interdit pas ce cri — il nous y prépare. Le livre des Psaumes est plein de ces plaintes, de ces reproches, de ces lamentations. Ce sont des cris d’amour brisé, pas des cris d’athéisme.

Conclusion

Engueuler Dieu, dans le judaïsme, ce n’est pas renier sa foi. C’est au contraire l’assumer pleinement, en refusant les réponses faciles. C’est porter sa douleur devant Lui, et croire qu’Il peut la recevoir, à l’image d’un enfant qui se plaint à son père parce qu’il sait que ce père l’aime assez pour l’écouter. Et peut-être, en criant vers le Ciel, entendrons-nous un écho. Non pas une réponse immédiate, mais une présence. Celle d’un Dieu qui ne se vexe pas d’être interpellé, parce qu’Il sait que c’est dans ces cris que se cache, parfois, la plus belle des prières.

 

Engueuler Dieu, parler aux hommes : pour une paix qui nous engage tous. Par Christian Jean aumônier musulman 

Destimed Christian Jeanj
Christian Jean aumônier musulman

Lors d’un échange récent, nous évoquions la douleur d’un ami ayant perdu son neveu à la veille de son mariage. En tant qu’aumônier, il est souvent difficile de trouver les mots justes face à de telles tragédies. Emmanuel m’a alors dit : « Nous avons le droit d’engueuler Dieu. » Cette phrase, à la fois provocante et profondément humaine, m’a rappelé combien la foi, dans ses élans les plus sincères, peut accueillir la colère, la tristesse et l’incompréhension.

Dans la tradition juive, les prophètes eux-mêmes interpellent Dieu. Dans l’islam, le dialogue avec le divin passe aussi par la négociation. Ces récits nous enseignent que la relation à Dieu n’est pas une soumission aveugle, mais un engagement vivant, fait de questionnements et de responsabilités.

« La foi, c’est 24 heures de doute moins une minute d’espérance. » – Georges Bernanos

L’émotion, une réalité à ne pas nier

 Quand on me demande pourquoi certains Juifs de France sont si attachés à Israël, je réponds souvent par une image : celle d’un enfant ayant perdu sa mère à 10 ans, et qui la retrouve à 40. Peu importe ce qu’elle est devenue, c’est sa mère. Il la défendra, par amour, par mémoire, par émotion.

Nous sommes des Méditerranéens. Nos relations sont traversées d’émotions, pas seulement de raisonnements. Et dans les conflits actuels, notamment au Proche-Orient, cette dimension émotionnelle est essentielle à comprendre. Elle ne justifie pas tout, mais elle explique beaucoup.

« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » – Blaise Pascal

Je pense à cette femme qui recense les attaques contre sa communauté. Son mari et ses enfants sont réservistes dans l’armée israélienne. Comment entendre nos critiques, même légitimes, quand on vit dans la peur pour ceux qu’on aime ? Cette réalité ne doit pas être ignorée. Elle coexiste avec notre devoir de dénoncer les atteintes aux droits humains, au droit international et à la dignité.

Critiquer sans haïr, défendre sans diviser

La critique n’autorise pas la haine. La vérité n’autorise pas la violence. Aujourd’hui, les musulmans de France subissent une islamophobie sans précédent. Certains refusent de faire le parallèle avec l’antisémitisme des années 30, mais les mécanismes sont tristement similaires. Lutter contre l’islamophobie n’exclut pas de lutter contre l’antisémitisme. Ces combats ne s’opposent pas, ils se rejoignent.

Ensemble, nous devons refuser la haine, même dans les ténèbres, même dans la tourmente. Car aimer Dieu, c’est aimer les hommes. Et Dieu aime tous les hommes.

La paix, une responsabilité partagée

J’aime ce vers de Paul Éluard : « Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas, tous les deux aimaient la belle. » Nous aimons la paix, nous aimons Dieu, nous aimons la République. Ensemble, nous devons trouver les chemins de la raison et de la fraternité.

« La paix n’est pas seulement notre but, elle est aussi notre chemin. » – Martin Luther King Jr.

Il est facile de parler de paix en temps d’abondance. C’est dans les périodes de tension que notre engagement est mis à l’épreuve. L’histoire nous enseigne que les guerres commencent souvent par l’assassinat des médiateurs -de Jaurès au lion du Panjshir. Les extrêmes haïssent ceux qui montrent qu’un autre chemin est possible.

« Il n’y a pas de chemin vers la paix, la paix est le chemin. » -Mahatma Gandhi

Aujourd’hui, alors que les tambours de guerre résonnent, faisons entendre la petite musique de la paix. Même si elle semble faible, elle est essentielle. Ne renonçons pas. La paix est à ce prix. Et notre foi ne peut tolérer que nous trahissions nos engagements les plus profonds.

 

 

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