Tribune de Bernard Valero : Horreur terroriste à Moscou

La tuerie perpétrée par les terroristes de l’État islamique-Kohrassan dans une salle de concert le 22 mars dernier a Moscou, (140 morts), a pétrifié la Russie et a mis en lumière l’une des vulnérabilités du régime de Poutine.

Bernard Valero ©Destimed/PM
Bernard Valero ©Destimed/PM

Jusqu’à cette date funeste, le dictateur du Kremlin pouvait se prévaloir d’avoir été « réélu » quelques jours auparavant avec un score presque nord-coréen, se réjouir d’avoir finalement eu la peau de son principal opposant politique, Alexeï Navalny, assassiné le 16 février au fond de sa cellule d’un centre pénitentiaire du Nord de la Sibérie, se délecter du désarroi croissant de la résistance militaire ukrainienne, en difficulté face à l’armée russe,  faute d’approvisionnement en munitions et équipements de ses alliés européens et américains.

Jusqu’à la tragédie du 22 mars, pouvait donc s’estimer heureux et poursuivre sa triple ambition :

  • Contrôle absolu de la population russe, garantie de son maintien au pouvoir.
  • Poursuite de la guerre contre Kiev et de la campagne quotidienne de terreur sur la population ukrainienne.
  • Renforcement de sa croisade contre l’Occident en ramenant un Sud dit global, à géométrie très variable.

Il ne lui restait plus qu’à attendre benoîtement une éventuelle victoire de Trump aux Etats-Unis en s’occupant, d’ici cette échéance, à planter des coins dans l’unité des Européens, en les menaçant ou en jouant de ses bataillons de trolls et de ses nombreux relais d’influence en Europe même.

Le massacre du 22 mars au Crocus City Hall a mis en lumière quatre erreurs de Poutine :

Il a fait fi du lourd passif de la Russie avec le monde musulman : des centaines de milliers d’Afghans morts durant la guerre d’Afghanistan (1979-1989), une population tchétchène décimée au fil des deux guerres de Tchétchénie (1994-97 et 1999-2001), des dizaines de milliers de morts en Syrie, (notamment à Homs, Alep ou encore à Idleb), sous les bombardements de l’aviation russe depuis 2015. Les peuples ont la mémoire longue et l’on peut craindre,  à la lumière de ce passif, que d’autres musulmans en Afrique, et au Sahel notamment,  fassent à nouveau les frais de l’entreprise de prédation qu’y mène la Russie sur la voie ouverte par le groupe Wagner.

Il a échoué dans ses polices d’assurance qu’il avait contactées pour se prémunir du danger islamiste : faire du sanguinaire Kadyrov son homme lige en Tchétchénie, nouer des partenariats risqués avec les mollahs de Téhéran, s’acoquiner avec le dictateur Aliev en Azerbaïdjan sur le dos des Arméniens, forger un soutien indéfectible à Bachar al Assad, le despote syrien qui massacre son peuple depuis 15 ans, soutenir le Hamas, (on se souvient que le chef de cette organisation terroriste, Khaled Mechal, avait été chaleureusement accueilli à Moscou le 7 février dernier), garder une laisse courte sur les 20 millions de musulmans vivant en Fédération de Russie. Tout cela n’aura pas suffi.

Obnubilé par l’Ukraine, il a négligé la menace djihadiste en concentrant l’essentiel des activités des services de renseignement et de sécurité contre l’Ukraine et les alliés de celle-ci. L’opération militaire spéciale s’enlisant dans les tranchées du Donbass, Poutine a choisi délibérément de faire tapis sur l’Ukraine au risque de laisser apparaître des brèches sécuritaires qui, hélas, n’ont pas échappé à Daesh. Pour un ancien du KGB, ce ratage sécuritaire n’est pas glorieux.

Enfin, il avait balayé d’un revers de main les avertissements américains qui, quelques jours avant le 22 mars, l’avaient mis en garde contre des menaces terroristes en Russie. Cette légèreté en dit long sur l’hubris du Président russe et sur l’incompétence de son entourage.

Alors que l’État islamique du Khorassan s’est évertué, en multipliant les revendications (un cas de figure inédit) à convaincre qu’il était bien l’auteur de cet attentat terroriste, le Président russe est bien contraint désormais d’admettre que cette tuerie a effectivement été l’œuvre de terroristes islamistes et non pas des Ukrainiens comme il avait commencé à le laisser entendre. Timide virage sur l’aile pas rapport aux premières réactions, mais Poutine n’en démord pas pour autant : selon le Kremlin, ce crime de masse profite aux Ukrainiens et à leurs alliés occidentaux qu’il accuse d’en avoir été les facilitateurs.

Les Ukrainiens doivent dès lors s’attendre à subir une agressivité et une pression redoublées de la part des forces armées russes dans les temps à venir, une raison supplémentaire pour les alliés de Kiev d’accélérer et d’amplifier leur aide à l’Ukraine.

Outre ses dimensions humaine, tragique, et géopolitique, inquiétante, ce carnage du Crocus City Hall de Moscou a mis en relief trois aveuglements de celui qui préside la Russie :

  • Une obsession ukrainienne dont il y a lieu de craindre qu’elle le conduira à vouloir la satisfaire quoiqu’il en coûte.
  • Une lecture caricaturale et manichéenne du Monde qui fait dériver la Russie vers les rivages dangereux de la dépendance (Corée du Nord, Iran) et de la vassalisation (Chine),
  • Un déni de réalité qui le conduit à exclure toute remise en question et à préférer s’enfoncer dans le mensonge, la manipulation et le contrôle absolu de sa population.

Cette catastrophe sécuritaire n’augure rien de bon, ni pour les Russes, ni pour les Ukrainiens, ni pour le reste du Monde. En ce qui les concerne, il est urgent pour les Européens d’en tirer collectivement toutes les leçons.

 Bernard Valero est ancien consul général à Barcelone, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Skopje, ambassadeur de France en Belgique, directeur général de l’Avitem (Agence des villes et territoires durables méditerranéens) et porte-parole du Quai d’Orsay.

 

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