Publié le 17 mai 2021 à  7h30 - DerniÚre mise à  jour le 4 novembre 2022 à  12h47
Le nouveau conflit Ă Gaza nâapparaĂźt pas comme une prioritĂ© du monde arabe aprĂšs les accords de paix dâAbraham et pourrait bien mener Ă une marginalisation durable du Hamas islamiste, concurrent dangereux Ă la succession de Mahmoud Abbas Ă la tĂȘte de lâAutoritĂ© palestinienne.
PrĂšs de 3 000 roquettes et missiles ont Ă©tĂ© tirĂ©s en quelques jours depuis Gaza sur les agglomĂ©rations israĂ©liennes. En rĂ©ponse aux tirs aveugles sur sa population civile, IsraĂ«l a ciblĂ© les lance-roquettes, les infrastructures militaires et les commandants du Hamas ou du Djihad islamiste palestinien Ă lâorigine des tirs. Les raisons du nouvel embrasement sont Ă rechercher Ă la fois en interne avec la succession de Mahmoud Abbas et en rĂ©ponse aux accords de paix israĂ©lo-arabes qui ont marginalisĂ© la question palestinienne et son sponsor iranien.
Les accords dâAbraham, le retour du boomerang perse
Les accords de normalisation entre IsraĂ«l, les Ămirats Arabes Unis (EAU), BahreĂŻn, le Maroc et le Soudan avec le soutien de lâArabie Saoudite, ont constituĂ© un frein majeur Ă la politique hĂ©gĂ©monique de TĂ©hĂ©ran qui ne pouvait rester sans rien faire. Face Ă ce bloc intercontinental allant de lâAfrique au Moyen-Orient, lâIran a actionnĂ© ses proxys au travers du croissant chiite et Ă Gaza. Le Hamas et le Djihad islamique palestinien, grĂące Ă la manne financiĂšre perse et qatari, ou de lâaide internationale dĂ©tournĂ©e, ont pu constituer des stocks impressionnants de roquettes, de missiles et construire de vĂ©ritables villes souterraines, appelĂ©es «mĂ©tro de Gaza», en prĂ©vision des nouvelles conflagrations.
Le conflit actuel est en quelque sorte un retour sur investissement. Il a pour quadruple but de mobiliser lâopinion internationale, de ternir lâimage dâIsraĂ«l au sommet Ă la suite de sa maĂźtrise de la pandĂ©mie de Covid-19, dâembarrasser les Ătats arabes signataires des accords de paix et in fine, de reprendre le leadership du monde musulman.
Pour lâheure, et au grand dam du rĂ©gime des Mollahs, aucun de ces objectifs nâa Ă©tĂ© atteint. En rĂ©ponse aux tirs aveugles de missiles sur les agglomĂ©rations israĂ©liennes, Tsahal (ArmĂ©e de dĂ©fense dâIsraĂ«l) a rĂ©pondu par des attaques ciblĂ©es sur les forces armĂ©es et les infrastructures des groupes terroristes implantĂ©es au sein des villes palestiniennes pour se servir des civils comme boucliers humains. Pour anticiper les accusations de crimes de guerre, aussi bien les tirs de missiles palestiniens que les rĂ©ponses israĂ©liennes ont Ă©tĂ© filmĂ©es et diffusĂ©es. La fiabilitĂ© des informations, dont certaines transmises par les rĂ©sidents de Gaza eux-mĂȘmes, et la prĂ©cision des moyens employĂ©s expliquent le faible nombre de dommages collatĂ©raux.
Lâimmense majoritĂ© des victimes civiles palestiniennes sont dues aux roquettes des groupes islamistes dont plus dâun tiers est retombĂ© dans lâenclave cĂŽtiĂšre. Contrairement Ă 2014, de nombreux pays occidentaux ont reconnu le droit de lâĂtat HĂ©breu Ă la lĂ©gitime dĂ©fense et ont affirmĂ© leur solidaritĂ© en hissant des drapeaux Ă lâĂ©toile de David sur des bĂątiments officiels. Le monde arabo-musulman a assurĂ© un service minimum. Y compris « lâaxe du refus » qui ne sâest manifestĂ© que par un tir de roquettes et une tentative dâinfiltration sans lendemain du Hezbollah Ă partir du Liban, – sans que lâONU ne se soit interposĂ©e -, ou une salve de missiles en provenance de Syrie. Pire encore, les EAU ont prĂ©venu les autoritĂ©s de Gaza quâils cesseraient leurs aides Ă la construction dâinfrastructures si les tirs se poursuivaient.
MĂȘme les manifestations en faveur de la cause palestinienne de par le monde nâont pas eu la mobilisation escomptĂ©e malgrĂ© leur forte couverture mĂ©diatique. Il est trĂšs probable quâĂ TĂ©hĂ©ran, les Pasdarans (les gardiens de la rĂ©volution islamique) sont en train dâanalyser avec attention le dĂ©roulement des opĂ©rations et rĂ©flĂ©chiront Ă deux fois avant dâagir directement contre lâĂtat HĂ©breu, si ce dernier venait Ă sâen prendre Ă nouveau Ă son programme nuclĂ©aire visant Ă se doter de lâarme atomique.
La mise Ă lâĂ©preuve de la nouvelle administration US
Ce nouvel Ă©pisode est en quelque sorte un baptĂȘme du feu pour la nouvelle administration Biden que dâaucuns qualifient de 3e mandat dâObama, tant par sa composition que les orientations ressemblant Ă celles Ă©tablies Ă partir de 2009. La volontĂ© affichĂ©e de prendre ses distances avec la politique de fermetĂ© de Donald Trump a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e comme une opportunitĂ© pour certains de faire avancer leurs revendications, telle lâAutoritĂ© palestinienne (AP) par exemple. Pour dâautres, cela a Ă©tĂ© compris comme un aveu de faiblesse. Ainsi, la Chine, la Russie ou lâIran nâont cessĂ© de provoquer la communautĂ© internationale depuis que les dĂ©mocrates ont remplacĂ© les RĂ©publicains Ă la tĂȘte de lâexĂ©cutif Ă Washington.
Loin de condamner lâĂtat HĂ©breu, les USA lui reconnaissent «le droit de se dĂ©fendre». Ils ont bloquĂ© plusieurs rĂ©solutions du Conseil de SĂ©curitĂ© afin de permettre Ă IsraĂ«l de rĂ©duire drastiquement les capacitĂ©s de nuisance des groupes terroristes et les dissuader durablement de retenter lâaventure, Ă lâimage de la 2e guerre du Liban dĂ©clenchĂ©e par le Hezbollah en 2006. Mais la marge de manĆuvre se rĂ©trĂ©cit. Du fait des pressions exercĂ©es par les puissances opposĂ©es aux Ătats-Unis, les milices islamistes armĂ©es pourraient une fois encore se voir sauver la vie in extremis pour le plus grand drame des populations palestinienne et israĂ©lienne.
Lâannulation des Ă©lections palestiniennes
En froid avec le prĂ©cĂ©dent locataire de la Maison Blanche, le PrĂ©sident de lâAP, Mahmoud Abbas, a tentĂ© de gagner les bonnes grĂące de la nouvelle administration US en se prĂ©sentant comme un dĂ©mocrate. Pour ce faire, il a annoncĂ© la tenue des premiĂšres Ă©lections depuis 2005, alors quâil avait Ă©tĂ© Ă©lu Initialement pour un mandat de cinq ans. Mal lui en a pris, puisque non seulement, il sâest trouvĂ© face Ă plusieurs listes concurrentes issues de son propre parti, sans compter ses opposants dĂ©clarĂ©s tel Mohammed Dahlan, lâun des architectes des accords dâAbraham, mais tous les sondages ont donnĂ© le Hamas, son ennemi jurĂ©, gagnant. Prenant pour prĂ©texte, «l’impossibilitĂ© dâorganiser des Ă©lections Ă JĂ©rusalem Est», alors quâelles pouvaient se tenir par correspondance, le RaĂŻs palestinien les a tout simplement annulĂ©es. Le groupe islamiste au pouvoir Ă Gaza, Ă©galement bien implantĂ© en Cisjordanie, a menacĂ© de sâen prendre Ă IsraĂ«l si le vieux leader palestinien persistait. De fait, une vague de violence a rapidement Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©e en IsraĂ«l sous lâinfluence du Hamas et instrumentalisĂ©e pour le dĂ©clenchement du conflit. Ayant dĂ©butĂ© Ă JĂ©rusalem, – la Ville Sainte des trois religions monothĂ©istes -, elle sâest propagĂ©e au sein de lâAP et a Ă©tĂ© rĂ©primĂ©e avec force par la police palestinienne.
La crise politique en Israël
La dĂ©mocratie israĂ©lienne vit une crise politique sans prĂ©cĂ©dent. Quatre Ă©lections successives nâont pas permis de dĂ©gager une coalition stable pour gouverner. Les Ă©lus plutĂŽt que de diriger le pays sont en campagne permanente. Les budgets ne sont pas votĂ©s et des projets importants nâont pas Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s. Profitant de cet apparent vide politique et de la division de son ennemi, lâIran, via ses affidĂ©s du Hamas et du Djihad islamique, a ravivĂ© le conflit israĂ©lo-palestinien, relĂ©guĂ© au second plan, pour rĂ©gler ses comptes avec lâĂtat HĂ©breu aprĂšs une sĂ©rie dâĂ©checs cuisants ayant trait Ă son programme nuclĂ©aire, son implantation en Syrie ou sur les mers. CâĂ©tait mal connaĂźtre la psychologie israĂ©lienne. MalgrĂ© les oppositions, la sociĂ©tĂ© israĂ©lienne a fait preuve une fois de plus de rĂ©silience et sâest ressoudĂ©e pour faire face Ă la nouvelle menace.
Le parti arabe Raam ou la voie de la normalisation politique avec la démocratie israélienne
Loin du champ de bataille, câest Ă la Knesset (lâAssemblĂ©e Nationale israĂ©lienne) que lâon assiste Ă un tsunami politique, de nature Ă changer radicalement les relations entre arabes et juifs en IsraĂ«l, voire au-delĂ . Les membres des partis arabes, bien quâayant la citoyennetĂ© israĂ©lienne et jouissant des mĂȘmes droits que leurs compatriotes juifs ou druzes par exemple, reprennent habituellement la rhĂ©torique antisioniste palestinienne. Rompant avec cette tradition, Mansour Abbas, dĂ©putĂ© arabe Ă la Knesset et chef du parti Raam a dĂ©cidĂ© de jouer pleinement la carte de la dĂ©mocratie israĂ©lienne. Il est prĂȘt Ă soutenir une coalition de droite ou de centre gauche pour dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts de sa communautĂ©, au mĂȘme titre que dâautres mouvements politiques en IsraĂ«l, tels que les partis juifs orthodoxes ou les sionistes religieux.
Il est loin dâĂȘtre un idĂ©aliste naĂŻf puisquâil est issu de la mouvance islamiste. Pragmatique, aprĂšs des annĂ©es de lutte stĂ©rile, il a compris que les IsraĂ©liens Ă©taient lĂ pour rester et que lâĂtat HĂ©breu Ă©tait dĂ©sormais acceptĂ© par un nombre croissant de pays au Moyen-Orient. En consĂ©quence, Ă lâimage des accords dâAbraham, il fallait que les arabes dâIsraĂ«l Ă leur tour normalisent pleinement leurs relations avec leurs concitoyens juifs. Autant dire que cette perspective est un cauchemar et une menace sans prĂ©cĂ©dent pour le leadership palestinien, des nationalistes du Fatah aux islamistes du Hamas. Câest probablement la raison la plus importante de la crise actuelle ; tuer dans lâĆuf toute vellĂ©itĂ© « dâunion sacrĂ©e » qui rendrait caduque les autres voies politiques. Et du fait des affrontements, les pourparlers en vue dâune coalition sont gelĂ©s jusquâau retour au calme.
La crise actuelle ou le premier round de la succession de Mahmoud Abbas
La nouvelle administration dĂ©mocrate nâa pas capitalisĂ© sur les avancĂ©es des accords dâAbraham. Au contraire, tel un mantra, elle a repris une ligne traditionnelle qui nâa jamais fait ses preuves, et de bienveillance avec lâIran qui ne cesse de mettre de lâhuile sur le feu. PlutĂŽt que dâattĂ©nuer les tensions, elle les a ravivĂ©es. Ainsi, le diffĂ©rent israĂ©lo-palestinien est de nouveau pris en otage par les opposants Ă la politique amĂ©ricaine et par la guerre de succession que se livrent les candidats Ă celle de Mahmoud Abbas au sein de lâAP et Ă Gaza. Aucun progrĂšs ne sera rĂ©alisĂ© sans lâarrivĂ©e au pouvoir dâun candidat modĂ©rĂ© et pragmatique ayant compris que lâĂtat de Palestine allant du fleuve jusquâĂ la mer, – incluant IsraĂ«l actuel, la Cisjordanie et Gaza -, Ă©tait une utopie. Il nây a quâune seule issue, la nĂ©gociation ; en dâautres termes, ne pas fixer comme prĂ©alable les rĂ©sultats attendus.
Une nĂ©gociation est un processus oĂč lâon accepte des concessions de part et dâautre, câest-Ă -dire de renoncer Ă une partie de ses espĂ©rances car elles sont inapplicables sur le terrain et compromettent lâavenir. Et plus le temps passe et plus la perspective de la solution Ă deux Ătats sâamoindrit. Pour que ce soit possible, il est impĂ©ratif dâenlever aux extrĂ©mistes, comme ceux du Hamas, le droit de vĂ©to sur la paix. Tant que la communautĂ© internationale sâĂ©vertuera de leur sauver la mise, il est Ă craindre que le cycle de violence ne sera pas prĂȘt de finir. Et il ne servira Ă rien dâexercer des pressions unilatĂ©rales sur lâĂtat dâIsraĂ«l afin quâil accepte des conditions irrĂ©alistes compromettant sa sĂ©curitĂ©. Le rĂŽle majeur que peuvent jouer les instances internationales est dâaider Ă une transition pacifique du pouvoir au sein de lâAP, mĂȘme sans rĂ©unification palestinienne, favorisant lâĂ©mergence dâun candidat favorable Ă la paix. Dans le cas contraire ce sera le chaos.
En dĂ©finitive, ce Ă quoi nous assistons dans ce conflit est la lutte entre un groupe terroriste qui sacrifie sa population Ă des objectifs idĂ©ologiques islamistes contre une dĂ©mocratie protĂ©geant sa population et qui met tout en Ćuvre pour que ses actions militaires nuisent le moins possible Ă la population de Gaza. Parce quâĂ lâavenir, IsraĂ«l et ses habitants juifs et non-juifs espĂšrent plus que tout pouvoir vivre en paix avec leurs voisins.
[(Le Pr. Hagay Sobol est spécialiste du Moyen-Orient et des questions terroristes.)]
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