75e Festival d’Aix-en-Provence. Une ouverture de quat’sous

Publié le 6 juillet 2023 à  16h31 - Dernière mise à  jour le 10 juillet 2023 à  17h31

C’est avec «L’Opéra de quat’sous » du duo Brecht/Weill qu’a débuté, mardi, le 75e Festival d’Aix-en-Provence. Une programmation hors des sentiers battus qui illustre la volonté de Pierre Audi d’ouvrir la manifestation sur de nouveaux répertoires. Et pour tenter de réussir son coup, en la circonstance, le directeur général, s’est adjoint les services des artistes de la Comédie Française pour donner cette pièce musicale et anarchiste.

Le mariage de Macheath (Birane Ba) avec Polly Peachum (Marie Oppert).  (Photo Jean-Louis Fernandez).
Le mariage de Macheath (Birane Ba) avec Polly Peachum (Marie Oppert). (Photo Jean-Louis Fernandez).

A Soho la misère est partout. Et pour survivre l’humain commet des crimes. Crime de sang pour Macheath, Mac-la-Lame, manche organisée et vols à la tire pour les Paechum qui font tourner leur petite entreprise «L’Ami du Mendigot». Clochards, prostituées, voleurs divers et variés évoluent ici sur fond de fracture sociale. Et lorsque la fille du couple Peachum se marie avec le gangster, ce sont deux clans qui entrent en conflit. Du théâtre musical sans concession qui, entre hyperinflation de la République de Weimar et avènement du nazisme, critique violemment le capitalisme et l’hypocrisie des élites corrompues tout en mettant en avant anarchie et révolte contre l’autorité et contre une justice instrumentalisée au service des puissants.

Pour signer une première mise en scène à l’Opéra, Thomas Ostermeier voulait travailler sur cette œuvre, le Festival d’Aix-en-Provence lui en a donné la possibilité. Au cœur d’un décor minimaliste, portique en ferraille sur fond noir, avec projections sur des écrans aux formes diverses, le metteur en scène a du mal à imposer la lecture sociale et politique de l’œuvre à laquelle il tenait tant, à en croire ses interviews d’avant-spectacle. Au bout du compte, entre cour et jardin, il règle les entrées et sorties des protagonistes et quelques scènes dont la bien inutile consacrée aux entartrages à l’occasion du mariage de Mac-la-lame avec Polly. De quoi rester sur notre faim contrairement à l’adage énoncé dans la pièce «la bouffe d’abord, la monnaie ensuite…» Pour tenter de dynamiser l’ensemble, les sociétaires du Français se démènent sur scène au service d’un texte en français, nouvelle traduction que l’on doit à Alexandre Pateau. Langue française qui, à notre avis, ôte pas mal de la substantifique moelle des airs de la pièce qui, il faut le reconnaître, sont beaucoup moins acides et violents, donc moins expressifs, que chantés dans la langue de Goethe. Regrets !

La troupe, elle, vient de travailler pendant plusieurs mois sur cette production, est investie derrière deux personnalités d’importance : le Peachum de Christian Hecq et le Macheath de Birane Ba. Le premier est d’une aisance scénique impériale, comme un meneur de revue, en entrepreneur de mendicité. Birane Ba, dans son cuir de gangster, est omniprésent, arrogant et sensible jusqu’à nous tirer des frissons dans son dernier air. Brown, le flic corrompu est idéalement interprété par Benjamin Lavernhe qui n’a aucun mal à conférer à son personnage un côté « faux-cul » qui lui sied à merveilles. Du côté des femmes, la Celia Peachum de Véronique Vella se distingue en mégère alcoolique, et la Polly de Marie Oppert promène sans problème sa sensibilité dans ce monde cruel ; côté chant, elle excelle… Un peu trop, peut-être par rapport à ses partenaires. La longue Jenny d’Elsa Lepoivre a des côtés fascinants et la Lucy de Claïna Clavaron est attachante.

Puis il y a la partition abordée d’un œil neuf, avec des instruments modernes, par Maxime Pascal et les musiciens de son orchestre Le Balcon. Élément essentiel de l’œuvre, elle prend ici une dimension puissante qui accompagne idéalement l’ironie et la satire de la pièce avec ses ambiances jazzy, populaires et classiques. Au bout du compte et au milieu de la nuit, après deux heures et demi sans entracte, cet « opéra de clochards pour les clochards » laisse un arrière-goût légèrement amer. Comme une ouverture de quat’sous, en quelque sorte…
Michel EGEA

Prochaines représentations les 7, 10, 12, 14, 18, 20, 22 & 24 juillet 2023. En direct le 10 juillet à 20 h sur France Musique et le 12 juillet sur Arte Concert
Plus d’info: festival-aix.com

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