Avignon. Congrès régional des Scop et Scic Paca Corse. Coopératives, l’autre puissance économique : ancrage, partage, démocratie

À première vue, c’est une réunion annuelle comme une autre. En réalité, c’est un moment de bascule. Dans ce lieu chargé d’histoire -le Palais  des Papes d’Avignon-  où se croisent élus, dirigeants coopératifs et partenaires financiers, un message s’impose : les coopératives ne jouent plus les seconds rôles.  Elles assument désormais leur place de puissance économique, sociale et politique.

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Congrès régional des Scop et Scic Paca Corse © Joël Barcy

Village des Scop

A retrouver : Entretien avec Karine balli, directrice générale des eaux d’Orezza et Franco Farsetti, PDG et fondateur de Telepaese  

Un monde qui vacille, un modèle qui tient

Franck Maillé, président de l’URSCOP de Provence-Alpes-Côte d’Azur et de Corse, ouvre la séance sans détour. Crises sociales à répétition, inégalités croissantes, précarisation de l’emploi, désenchantement démocratique, entreprises qui tombent, ressources qui s’épuisent : le décor est sombre. Mais son propos n’est pas celui du renoncement. C’est une affirmation. « Il existe un autre chemin. Un chemin où la performance ne se fait pas au détriment du sens. Où la démocratie ne s’arrête pas à la porte des bureaux. Où la valeur n’est pas captée, mais partagée. » Ce chemin, ce sont les Scop et les Scic, ces sociétés coopératives où les salariés sont aussi associés, décideurs, stratèges.

Entretien avec François Marciano, directeur général de la verrerie française Duralex

«Remplacer l’anonymat de l’actionnaire par la puissance du collectif»

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Franck Maillé, président de l’URSCOP de Provence-Alpes-Côte d’Azur et de Corse © Joël barcy

Franck Maillé raconte  aussi  les jeunes, ceux de sa Scop, spécialisée entre autres dans le déménagement, levés à l’aube, qui montent de nombreux étages, mais qui arrivent « avec le sourire » parce qu’ils savent pourquoi et pour qui ils travaillent. Ici, l’intéressement, la participation et le partage ne sont pas des bonus : «Ce sont des principes fondateurs. » Sa formule claque comme un manifeste : « Nous avons remplacé l’anonymat de l’actionnaire par la puissance du collectif. » Avec ses 140 ans d’histoire, le mouvement coopératif apparaît moins comme un vestige que comme une idée en avance sur son temps. Longtemps jugé utopique, il répond aujourd’hui aux inquiétudes contemporaines : quête de sens, exigence de justice sociale, volonté de reprendre la main sur le travail.

Quand la Région en fait un choix de société

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Agnès Rossi, conseillère régionale en charge de l’ESS © Joël Barcy

Ce mouvement ne se construit pas seul. À la tribune, Agnès Rossi, conseillère régionale en charge de l’ESS prend la parole au nom de la Région Sud et confirme ce que beaucoup pressentaient : l’économie sociale et solidaire (ESS), dont les coopératives sont l’un des visages les plus structurés, est désormais au cœur de la stratégie économique régionale. « Ce n’est pas une forme juridique parmi d’autres. C’est un choix de société, un choix politique, un choix de civilisation. » Les chiffres parlent d’eux-mêmes : part significative de l’emploi, ancrage dans les quartiers populaires comme dans les zones rurales, capacité à générer une activité utile, durable, non délocalisable. Loin du cliché de la “petite économie parallèle”, l’ESS est assumée comme une force souveraine.

Entretien avec Denis Philippe, président de la CRESS (chambre régionale de l’Economie sociale et solidaire) Paca

Banque des Territoires : le bras armé d’une ambition coopérative

La prise de parole d’Ismaël Ouanes, pour la Banque des Territoires, vient ajouter une couche essentielle : celle de la capacité à changer d’échelle. Si les coopératives veulent peser durablement, elles ont besoin de partenaires qui ne se contentent pas de les saluer, mais qui prennent le risque avec elles. Il rappelle d’emblée que le lien avec l’ESS est inscrit dans l’ADN de la Caisse des Dépôts : la cohésion sociale et territoriale n’est pas un slogan, mais une mission. Ici, l’engagement se mesure en montants, en outils, en projets suivis dans la durée.

Crédit Coopératif : la banque née du mouvement

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Florence Rombi, crédit coopératif © Patricia Caire

Puis vient la séquence Crédit Coopératif, portée par Florence Rombi. Ici, l’histoire n’est pas un argument marketing, c’est un point de départ politique. Le Crédit Coopératif n’est pas arrivé a posteriori dans le paysage : il a été créé par les Scop et pour les Scop, à une époque où les entreprises coopératives ne trouvaient aucun interlocuteur bancaire prêt à comprendre leurs spécificités. À l’origine, une intuition simple : si les outils financiers existants ne savent pas accompagner des entreprises démocratiques, il faut inventer une banque qui leur ressemble. Plus d’un siècle plus tard, cette origine se lit encore dans sa manière de travailler avec le mouvement coopératif.

« L’entreprise de demain existe déjà » : le président national des Scop tire sa révérence et affiche un bilan offensif

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Jacques Landriot, de la Confédération générale des Scop © Patricia Caire

À l’heure de conclure deux mandats à la tête de la Confédération générale des Scop, Jacques Landriot a choisi la Région Sud pour livrer ce message: le mouvement coopératif a changé de dimension et doit désormais assumer son rôle de modèle d’avenir. Devant les coopérateurs de Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse, il commence par un clin d’œil à l’Union régionale, saluant une progression de l’ordre de 16 %, supérieure à la dynamique nationale : « Vous avez perdu de gros bataillons, mais vous avez su rebondir, ouvrir des antennes, vous rapprocher des coopératives. C’est exactement l’esprit dont nous avons besoin. »

Un mouvement qui a pris de l’ampleur

En dix ans, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le mouvement Scop est passé d’environ 52 000 emplois coopératifs en 2017 à près de 90 000 attendus, avec une perspective autour de 94–95 000. Le chiffre d’affaires cumulé a doublé sur la période, de 5,2 à 11 millions d’euros.  Cette croissance ne vient pas seulement des créations, mais aussi du développement des coopératives existantes : « La démonstration est faite : notre modèle est crédible, solide, et l’un des visages possibles de l’économie de demain. » Cette montée en puissance a renforcé la légitimité politique du mouvement, désormais régulièrement auditionné à l’Assemblée nationale et au Sénat. « On nous prend au sérieux, parce que nous pesons réellement », souligne-t-il.

Jacques Landriot insiste sur un autre levier décisif : la solidarité financière interne. Les cotisations des adhérents sont passées de 9 à 15 millions d’euros, dont 47 % reversés aux Unions régionales, contre un tiers auparavant. De quoi leur donner les moyens d’accompagner le développement sur le terrain. Evoque les outils financiers du mouvement qui représentent aujourd’hui 113 millions d’euros investis ou mobilisés au service des coopératives. Une force singulière : « Nous sommes le seul mouvement à disposer d’un outil financier propre au service de ses entreprises. » Prochaine étape espérée : «La création d’un fonds dédié d’au moins 25 millions d’euros pour faciliter les transmissions et reprises d’entreprises en Scop, dans un contexte où des centaines de milliers de structures doivent changer de main dans les cinq ans ». L’objectif est de permettre d’aller sur des dossiers plus importants et structurer une vraie réponse coopérative à l’enjeu national de la transmission. La conclusion de Jacques Landriot ressemble à une transmission de flambeau : « L’entreprise de demain existe déjà, ancrée dans les territoires, démocratique, durable, portée par celles et ceux qui y travaillent. Elle a un nom : la coopérative.»

D’une alternative à une avant-garde

C’est peut-être le principal enseignement de cette journée : les coopératives ne se positionnent plus en marge, mais en avant-garde.  Ici, le récit a changé. Il ne s’agit plus seulement de proclamer : « Une autre économie est possible ». Il s’agit de montrer qu’elle existe déjà, qu’elle est outillée, financée, soutenue politiquement, et qu’elle produit des résultats.

Reportage vidéo Joël Barcy – Rédaction Patricia CAIRE 

Ce vendredi cette seconde journée du congrès sera dédiée aux comptes de l’année écoulée et au renouvellement des administratrices et administrateurs, qui seront les porte-voix des coopératives  pour les quatre années à venir.

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