Chronique. «La parole est à Viou» : Le vrai Parrain n’a pas de casier, il a une carte bleue…

Destimed ouvre une nouvelle fenêtre sur le débat avec « La parole est à Viou », une chronique portée par la plume libre et engagée de Viou. Ce rendez-vous assumera un ton personnel, curieux, parfois piquant mais toujours ouvert. Ici, la réflexion se fait sans détour, avec le goût des idées, des points de vue qui se confrontent, et des questions qui ouvrent la discussion. Cette chronique donnera voix à une lecture singulière de l’actualité, aux angles parfois à contre-courant. La parole est à Viou à contredire, à débattre.

Quand le commerce légal baisse le rideau, la multinationale du stup’ tire des feux d’artifice

Il y a quelques mois, les Galeries Lafayette de Marseille ont baissé le rideau. Une institution mise à genoux par l’absence de rentabilité. Plus assez de clients. Plus assez de flux. La boutique ferme. Pourtant, à quelques mètres de là, une autre économie affiche une santé insolente. Le trafic de drogue s’est répandu dans toute la ville avec la fluidité d’une start-up en pleine expansion. Là où le commerce traditionnel agonise, les réseaux explosent de vitalité. Ils célèbrent leurs victoires à coup de feux d’artifice les soirs de gros chiffre d’affaires. Comme on ferait sonner la cloche à Wall Street.

L’offre n’est que le reflet de la demande

Ce contraste n’est pas un hasard. Si les dealers installent des check-points dignes de frontières militaires, ce n’est pas pour le folklore. C’est pour gérer des files d’attente. C’est pour servir une clientèle qui est bien là, fidèle, nombreuse, et prête à payer le prix fort. Le trafic n’est pas une invasion barbare qui s’impose à nous ; c’est un marché. Et tout marché répond à une demande. S’il n’y avait pas d’acheteurs, les points de deal fermeraient aussi vite que les Galeries Lafayette.

Le véritable patron du réseau, ce n’est pas le caïd en costard qui fait les gros titres. C’est l’acheteur. C’est le salarié qui verse sa paie directement sur un compte en banque, puis qui la convertit en poudre. C’est l’étudiant qui utilise sa carte bleue pour financer sa propre servitude. Le client, c’est lui le parrain. Et son argent légal, c’est le nerf de la guerre souterraine.

Le piège chimique

Ce marché a muté. Le Covid a accéléré la consommation ; l’ennui et l’isolement ont fait le reste. Puis, le produit lui-même est devenu une arme. Cocaïne sur-dosée, crack banalisé, nouvelles drogues de synthèse : ce ne sont plus des produits «festifs», ce sont des menottes chimiques. Dire «il suffit de ne pas acheter» devient cruel face à des molécules conçues pour annihiler la volonté.

La police face à la marée

Cessons l’hypocrisie qui consiste à tout mettre sur le dos des forces de l’ordre. La police interpelle, saisit, démantèle des réseaux chaque semaine. Mais lui demander de stopper le trafic par la seule répression, c’est comme essayer d’écoper une barque en pleine mer alors que la coque est trouée. Vous aurez beau jeter l’eau par-dessus bord avec toute l’énergie du monde, si vous ne bouchez pas le trou, vous coulerez. Tant que le robinet de la demande reste ouvert à fond, l’inondation continue. S’acharner sur l’outil policier sans assécher la consommation est une stratégie vouée à l’échec.

Gouverner, ce n’est pas déambuler

Récemment, Marseille a vu défiler des cortèges blancs pour pleurer un jeune homme, nouvelle victime de cette guerre. C’est nécessaire, c’est humain. Mais l’indignation ne peut pas être à géométrie variable. Où était la République quand Socayna est morte ? Cette jeune étudiante marseillaise, fauchée par une rafale de kalachnikov alors qu’elle révisait ses cours dans sa chambre. Elle incarnait l’avenir, l’innocence absolue. Sa mort aurait dû paralyser le pays. Pourtant, pas de grande union sacrée. Juste un fait divers tragique de plus. Cette sélectivité dans l’émotion est indécente. Voir des politiques se presser au premier rang des marches blanches commence à devenir insupportable quand l’action ne suit pas. Une marche blanche n’arrête pas une balle blindée. Le travail d’un élu ne consiste pas à organiser des funérailles, mais à les empêcher.

Provoquer la faillite des marchands de mort

Le combat n’est pas perdu. Il exige de changer radicalement de méthode : redonner du sens, de l’espoir et de la santé à nos concitoyens. Améliorer la qualité de vie, offrir des perspectives réelles à la jeunesse, soigner les angoisses avant qu’elles ne se traitent chimiquement. Si nous parvenons, par l’éducation, la prévention et le soin, à faire baisser drastiquement la consommation, nous gagnerons. En prenant soin de nos citoyens, en réduisant la demande, nous ferons subir aux réseaux leur seul sort mérité : la faillite économique. Notre objectif doit être clair : faire en sorte que demain, faute de clients, les points de deal disparaissent de notre ville, exactement comme, malheureusement, ont disparu les Galeries Lafayette.

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