Tribune d’Eric Delbecque: La fausse gauche des « bobos » (10)


Publié le 25 mars 2017 à  12h57 - DerniÚre mise à  jour le 29 novembre 2022 à  12h30

Il faut recrĂ©er autrement le clivage droite/gauche, Ă  l’intĂ©rieur de l’espace mental de la modernitĂ© inaugurĂ© par 1789. Mais la refondation prend du temps – nous le constatons chaque jour durant cette campagne prĂ©sidentielle et dans l’attente du sursaut collectif, il faut pourvoir Ă  son dĂ©ploiement personnel.

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La tactique de l’individualiste contre la sociĂ©tĂ©, de cet anarque -cher Ă  Ernst JĂŒnger- qui peut vivre dans la solitude, sera alors infiniment plus complexe, plus dĂ©licate, plus riche, plus nuancĂ©e et plus variĂ©e que celle, grossiĂšre et brutale, de l’anarchiste, contraint de se chercher Ă  tout prix des compagnons. A chacun de se composer un recueil de recettes pratiques pour louvoyer avec la sociĂ©tĂ©, pour passer Ă  travers les mailles du filet dont elle l’enserre. Il n’existe finalement qu’un seul sujet fondamental pour l’anarque, virtuose de l’esquive : comment l’ĂȘtre humain, livrĂ© Ă  lui-mĂȘme, relĂšve le dĂ©fi de la toute-puissance, que ce soit celle de «l’État Big Mother» et de la sociĂ©tĂ© de surveillance, ou celle de la nature sauvage, en tirant profit de leurs lois, sans pour autant se soumettre.

Peu importe la mĂ©thode, seul compte le but : permettre l’éclosion de puissants caractĂšres, d’ñmes profondes et fortes, lucides et attentives, rĂ©solues et viriles, armĂ©es de patience, de discipline et de volontĂ©, cuirassĂ©es dans les aciers souples et brillants de la belle individualitĂ©, du Condottiere, guerrier dĂ©sinvolte et prudent. Tous ont appris Ă  endurer les outrages de la solitude, souffrants passionnĂ©s de ses baisers glacĂ©s. Ils y ont forgĂ©, dans la douleur fascinĂ©e, le goĂ»t de penser en libertĂ© et les lames acĂ©rĂ©es de leur fiĂšre ĂąpretĂ©. Le hĂ©ros demeure symboliquement l’homme qui brandit le glaive, le visage mĂȘme de l’action, le symbole de l’état guerrier, de la bravoure et de la puissance, dĂ©truisant pour bĂątir, pĂšre et gardien de l’harmonie. AssurĂ©ment, il est l’homme Ă  l’épĂ©e, celle de la guerre intĂ©rieure, de la confrontation avec soi (non avec les autres), celle de l’énergie gĂ©nĂ©ratrice, de l’implacable volontĂ©, de la pensĂ©e vivante et de l’activitĂ© spirituelle : un fragment de la Croix de lumiĂšre prĂ©tendaient les CroisĂ©s… Il a le regard dur, et fier : deux grands astres de fauve, brillants et brĂ»lants. C’est un homme d’honneur, cette pudeur virile, Ă©crivait Vigny. Il semble veiller sur l’Univers entier, sans cesser de dĂ©fier toutes les images sacrĂ©es. Il est l’ordre et le chaos. Il blasphĂšme en Seigneur, toujours se parlant franc, n’exigeant que l’instant, le noble et le grand. Il est Lucifer et Dieu, CaĂŻn et Adam. Il n’espĂšre ni salut ni grĂące, le combattant du Grand DĂ©fi, le Fils aĂźnĂ© de Dieu…

C’est un aristocrate, tel que l’entend Fernando Pessoa : en quelque sorte, il se dĂ©daigne lui-mĂȘme, car le plus grand empire sur soi, c’est l’indiffĂ©rence envers soi-mĂȘme… Il faut traiter ses rĂȘves et ses dĂ©sirs les plus intimes avec hauteur, en grand seigneur. Et pas de modestie mal placĂ©e, Gombrowicz a mille fois raison sur ce point, car celui qui avoue ses fantasmes de grandeur est beaucoup moins attachĂ© Ă  soi, se traite avec beaucoup plus de distance et d’humilitĂ© que celui qui rougit Ă  la seule pensĂ©e de telles confessions. Le lion s’essaie sans cesse Ă  ne plus hĂ©siter, Ă  ne plus reculer devant rien et Ă  aller jusqu’au bout de toute chose, de toutes ses forces : il n’écoute que son impĂ©rialisme sur lui-mĂȘme. S’expĂ©rimenter, soi comme le monde, chercher ses limites, mais aussi l’infini que l’on porte en sa poitrine, l’indicible et l’étonnant, voilĂ  l’audace qu’il lui importe de cultiver. Cette endurance Ă  ĂȘtre, et Ă  faire, est le centre de toute maturitĂ©, l’unique voie qui permet de dĂ©passer ses propres frontiĂšres, et de joindre des aptitudes jusque-lĂ  sĂ©parĂ©es. L’ĂȘtre des horizons syncrĂ©tiques est un double mouvement, synthĂ©tique et fractal, d’affleurement et d’approfondissement, car s’approfondir c’est s’unifier sans se mutiler, l’ambition absolue…

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NĂ©anmoins, cette nature nietzschĂ©enne peut se tenir sans cesse sur le plan Ă©levĂ©, ou en descendre Ă  son grĂ©. En montrant son aptitude Ă  passer de l’un Ă  l’autre plan, sans contrainte, prĂ©mĂ©ditation ou affectation, qui trahiraient le labeur, elle montre sa richesse, sa souplesse et son amplitude. Cette maĂźtrise de soi procure un plaisir incomparable, celui de forger sa propre loi, de s’y tenir, puis de se laisser aller un temps aux inclinations et aux sollicitations des sens et de l’esprit, pour mieux se ressaisir de nouveau, et Ă  l’instant prĂ©cis oĂč le caprice l’ordonne, s’abandonner au carcan d’une discipline librement consentie et observĂ©e. Le mariage de l’autonomie et de l’anarchie, de la rigueur et du caprice : c’est tout le sublime d’un individualisme aristocratique. Comme Huguenin, je voudrais faire comprendre aux jeunes gens que l’on a un moi tout entier soumis Ă  sa volontĂ©, et que l’on peut, si vraiment on le veut, devenir semblable Ă  ce que l’on admire, ou au moins y tendre. On dispose de soi-mĂȘme comme d’un royaume dont on serait le souverain absolu. Ordonner et faire resplendir l’individualitĂ©, sans offenser sa luxuriance : quel art difficile et pourtant Ă©trangement simple
 Ce que les gens regrettent, ce n’est pas de s’ĂȘtre trompĂ©s lorsqu’ils Ă©taient jeunes, d’avoir choisi un mauvais chemin, mais de ne pas avoir employĂ© le capital dont ils disposaient, de ne pas s’ĂȘtre construits, façonnĂ©s, modelĂ©s selon un dessein, une figure qu’ils ambitionnaient d’enfanter. Qu’existe-il pourtant de plus exaltant que de s’imposer calmement ce que l’on veut, au nom de toute la noblesse de sa personnalitĂ©, sans Ă©gard pour les menus dĂ©sirs d’un insignifiant Narcisse ? C’est pourquoi il faut avoir beaucoup de respect et mĂȘme d’orgueil pour soi-mĂȘme, ainsi que du mĂ©pris, celui du crĂ©ateur.
Gerald Parel-Captain Harlock-Albator
Gerald Parel-Captain Harlock-Albator
Ce corsaire, Ă©pris des retraites qui mĂ©tamorphosent, aspire toutefois aux frĂšres d’armes, aux compagnons, aux chevaleries nĂ©es des rires complices et des pires calices. Il aime les bandes d’acharnĂ©s solitaires, fiers libertaires mais mousquetaires solidaires. Il n’a pas le goĂ»t des anges justiciers, des rĂ©volutionnaires d’airain. Que lui importe les ardents missionnaires, il veut des frĂšres en doute, cyniques dĂ©sinvoltes, tragiques jouisseurs. Guerriers sans cause mais parangons d’honneur, ces sombres fils de Stirner, enfants des Roses Noires, errent Ă  jamais dans les rĂȘves d’un jeune Dieu depuis toujours dĂ©chu. Ce n’est nullement au solipsisme que tend cet oiseau des cimes. Parce qu’il s’est nourri, s’est accru Ă  chaque instant, il repousse le vampire en lui : prodigue de ses richesses intĂ©rieures, il veut connaĂźtre et aimer, partir Ă  la rencontre de la diffĂ©rence fraternelle. Il refuse l’individu atomisĂ© – qui se croit indĂ©pendant alors qu’il n’est qu’abandonnĂ© -, l’onanisme psychologique tout autant que charnel, car quand l’homme cesse de se chercher au-delĂ  de lui-mĂȘme, de se porter en avant, il pĂ©rit. Êtres de dialogue et de partage, nous vivons de la magie des rencontres. C’est par la rencontre que s’éclairent et se regroupent les constellations, dans cette nĂ©buleuse que nous appelons le moi… Par un mystĂšre impossible Ă  Ă©lucider, Ă©crit Christiane Singer, ce sont prĂ©cisĂ©ment toutes les rencontres d’une vie qui nous font peu Ă  peu advenir. Chaque rencontre livre Ă  chacun d’entre nous des fragments qui, mis bout Ă  bout, composeront le libellĂ© d’un message Ă  nul autre adressĂ©.

Icare au pilori

Mais assez de plaisantes digressions ! DĂ©pression du sujet, constate-t-on aujourd’hui… Contingente, circonstancielle ? PlutĂŽt favorisĂ©e
 La gauche contemporaine, droite rĂ©actionnaire masquĂ©e, a travaillĂ© sans relĂąche Ă  l’infantilisation et Ă  la victimisation des individus, ces Ă©pidĂ©mies dĂ©vastatrices pour les jours prochains de l’Occident. MĂ©thodiquement, elle a dĂ©responsabilisĂ© tous azimuts pour enfin venir Ă  bout de la libertĂ© individuelle. Bienvenue dans le monde des Ă©ternels bambins d’Huxley et des martyrs patentĂ©s qui ne veulent plus jamais s’inquiĂ©ter et lutter, bienvenue dans le monde des golems, des tubes digestifs et des nerfs optiques repus, de la bestialitĂ© rĂ©inventĂ©e et satisfaite qui ne sait donc plus dĂ©sirer, bienvenue dans le parc d’attractions du Dernier Homme… Les occidentaux ne sont plus que des spectateurs. Et exister dans la passivitĂ© du spectateur, c’est renoncer Ă  sa vie, Ă  toute singularitĂ©, se reconnaĂźtre dans un reflet extĂ©rieur Ă  soi-mĂȘme, manipulĂ© et aliĂ©nant, identifier ses besoins et ses dĂ©sirs Ă  ceux prescrits par tous les pouvoirs.
p11.jpgL’Occident ne veut surtout plus entendre parler du tragique de la condition humaine : il faut simplement ĂȘtre heureux… On sent la mĂ©diocritĂ© affleurer sous le cocooning narcissique farouche. Maudits soient tous ces gens que l’ennui n’effraye plus… Samuel, le hĂ©ros d’Une dĂ©solation, n’a plus droit de citĂ© dans les ruches urbaines de l’Homo festivus dissĂ©quĂ© par Muray : il n’est guĂšre prĂ©sentable le merveilleux rabat-joie de Yasmina Reza, pris de nausĂ©e Ă  l’idĂ©e que son fils dĂ©sire seulement ĂȘtre heureux. Cet impatient dinosaure dĂ©bordant de vitalitĂ© croit Ă  la volontĂ© et entend faire flancher le rĂ©el, imposer les dĂ©crets humains Ă  la matiĂšre et non s’adapter, se rĂ©pandre en courbettes devant l’irrĂ©vocable. Qu’aurait-il de commun avec l’époque cet individualiste fĂ©roce qui ne veut pas dire oui au monde et se blottir dans les dogmes du moment, rassurants parce que grĂ©gaires, qui se fout d’ĂȘtre acceptĂ© ou aimĂ© mais veut conquĂ©rir ? Rien n’est plus terrifiant que les paroles de Samuel, car il a mille fois raison. La soif d’absolu et la geste hĂ©roĂŻque, le goĂ»t de la revanche, la fiĂšvre de la dĂ©mesure et la passion de l’insurrection, tous ces trĂ©sors disparaissent du monde. Les guĂ©rilleros du bonheur ont gagnĂ© trop de batailles : pourvu qu’ils perdent un jour la guerre… Samuel est trop grand pour ce monde moral Ă  vomir, cul-bĂ©nit Ă  souhait. Lui qui a toujours voulu se dĂ©passer, crĂ©er et bĂątir, il ne voit plus autour de lui que fatalisme veule, accrocs du confort bourgeois et monotone, militants du peinardisme. L’égoĂŻsme consumĂ©riste des pĂąles disciples d’Eudoxe signe l’arrĂȘt de mort de la libertĂ© et atomise les ambitions de l’esprit. Les prĂ©toriens serviles de la pensĂ©e unique roucoulent de bonheur en claironnant le triomphe de l’individualisme alors qu’ils ne font qu’escorter son corbillard. Le bonheur, rĂ©torque avec raison Pascal Bruckner aux bĂ©ats postmodernes, ne saurait ĂȘtre l’horizon indĂ©passable des sociĂ©tĂ©s humaines, ni le fondement de l’action : il se subordonne Ă  la libertĂ©. Pour ĂȘtre heureux, il faut d’ailleurs se moquer du bonheur, et l’accueillir sans le soumettre Ă  la question. PrĂ©fĂ©rons-lui le plaisir, brĂšve extase dĂ©robĂ©e Ă  l’inĂ©luctable et Ă  la souffrance. Peu nous chaut ce gluant bonheur postmoderne, ce petit confort de termitiĂšre que nous vantent les Ă©ternels Homais. Davantage que la tranquillitĂ© du bourgeois satisfait de lui-mĂȘme et du monde, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, il faut priser la joie et la gaietĂ©.

Yasmina Reza et Pascal Bruckner
Yasmina Reza et Pascal Bruckner
Jamais la distinction droite-gauche d’antan n’a exercĂ© un tel terrorisme intellectuel sous le casque noir intĂ©gral de l’opposition conservateur/progressiste. Jamais non plus elle n’avait masquĂ© Ă  ce point le nĂ©ant de la pensĂ©e politique et l’absence de vrai combat d’idĂ©es. En aucun cas ce n’est un paradoxe : tout au contraire, rien n’est plus logique. Lorsque les mots n’ont plus de sens, ne portent plus aucune idĂ©e, il devient nĂ©cessaire de les soutenir par la force, de les rendre agressifs, vindicatifs, de substituer leur profĂ©ration Ă  la rĂ©flexion, de les imposer comme des dogmes en refusant de les faire servir Ă  leur usage premier, Ă  savoir la construction d’une parole, d’un Ă©change. DĂšs lors, les fantĂŽmes, le nĂ©ant du sens, les morts, terrorisent les vivants et les ravissent au devenir, les privent d’avenir.

Depuis vint ans, la gauche « bobo » n’est plus que la championne de l’authentique vulgaritĂ©, celle de l’esprit. On peut suspecter toutes les manifestations du ridicule et de la bĂȘtise d’en dĂ©river. Elle constitue la matrice du conformisme, cet immobilisme que les esprits timorĂ©s nomment pudiquement le conservatisme en faisant ainsi un immense contresens. Notre Ă©poque a ceci de fascinant qu’elle se pare des oripeaux de l’individualisme et du mouvement alors qu’elle raille la personne et l’originalitĂ© rĂ©elle. La vulgaritĂ© se confond aujourd’hui avec une conception trĂšs singuliĂšre de la modernitĂ©, qui tient davantage de la gesticulation que du souci du progrĂšs. Les rĂ©volutionnaires patentĂ©s, demi-soldes de la contestation tous azimuts, se rĂ©galent d’enfoncer les portes ouvertes, de triompher dans les faux combats et de s’installer dans les pensĂ©es dichotomiques faciles et rassurantes. Ces hĂ©miplĂ©giques intellectuels aiment les catĂ©gories Ă©touffantes et les prĂȘt-Ă -penser qui permettent de mieux condamner. Beaucoup de soi-disant leaders d’opinion s’avĂšrent, Ă  bien y regarder, des moralistes, des inquisiteurs en puissance qui n’ont guĂšre le goĂ»t de l’unique stirnĂ©rien.

Les faux «progressistes» de tout poil, les branchĂ©s cools et sympas, sont les nouveaux vieux cons, pourtant dans la fleur de l’ñge, les ringards par excellence, les totalitaires spirituels et liberticides, les meurtriers de PromĂ©thĂ©e et les fossoyeurs de l’individualisme. L’énergie leur manque, et l’amour de la vraie diffĂ©rence aussi. Ils traitent bien cavaliĂšrement la fraternitĂ© et ambitionnent trop souvent de se montrer. De quoi ont-ils l’air ces adeptes du No future feutrĂ© dont l’avenir est pourtant tout tracĂ© ? Est-il possible de les prendre au sĂ©rieux ces nouvelles figures du bourgeois balzacien, ces nihilistes de pacotille et ces anarchistes subventionnĂ©s qui s’affichent en sociaux-dĂ©mocrates dĂ©contractĂ©s ? Ces profs de vertu ont-ils d’ailleurs jamais mis les pieds dans un quartier sensible ? Ces champions distraits de l’égalitĂ© se sont-ils demandĂ©s ce que peut Ă©prouver un homme pour qui exister ne signifie guĂšre plus que survivre ? On peut en douter… Ces prĂ©tendus rĂ©voltĂ©s rivalisent de virtuositĂ© dans l’art de castrer le talent et de fonctionnariser la pensĂ©e.
p13-2.jpgLe terrorisme intellectuel de quelques mandarins homologuĂ©s, que certaines de nos Ă©lites Ă©narquisĂ©es s’empressent de cautionner, menace Ă  tout instant d’ostraciser l’impudent qui afficherait sa rĂ©pugnance pour la pensĂ©e formatĂ©e. La bonne conscience des sociĂ©tĂ©s occidentales contemporaines, le gardien de l’intelligence aux allures de coq de basse-cour, le clerc Ă©ructant l’anathĂšme si proche de l’inquisiteur d’antan, c’est-Ă -dire l’intellectuel homologuĂ©, de «gĂŽĂŽche» et Ă  cheval sur la mode -non parce qu’en cavalier aguerri il maĂźtriserait sa monture mais parce que le panurgisme lui tient lieu de philosophie-, emploie toutes ses forces Ă  paraĂźtre progressiste, tolĂ©rant, ouvert, ennemi de toutes les exclusions et de l’arbitraire, solidaire et compatissant. Il s’épuise Ă  prĂ©cĂ©der le sens moral : toujours en avance d’un nouveau combat sans risque contre l’injustice et l’obscurantisme des adversaires disparus de la libertĂ©, de l’égalitĂ© et de la fraternitĂ©, il prospecte le monde Ă  la recherche de tous les martyrs, Ă  l’affĂ»t de toutes les victimes.

L’uniforme idĂ©ologique de l’intello branchĂ© en mal de magistĂšre moral, de groupies et de visibilitĂ© mĂ©diatique, est repĂ©rable de trĂšs loin. Le tartuffe collectionne les insignes de toutes les unitĂ©s d’élite et des troupes de choc contestataires qui ont sĂ©vi depuis les annĂ©es cinquante. Une petite tendresse nostalgique l’étreint douillettement au souvenir des beatniks: dans un coin de leur bibliothĂšque, ces caricatures de Dean Moriarty ont pieusement rangĂ© Sur la route et Le festin nu, faisant volontiers, en connaisseur averti, l’apologie des rythmes syncopĂ©s du jazz, des courses folles en voiture, de l’ivresse, de la drogue et de l’érotisme de midinette, symboles du plaisir et de l’indĂ©pendance, banniĂšre des ennemis de la morale petite-bourgeoise et des grincheux puritains, aigris et fachos… Ces champions de l’homme, tiers-mondistes reconvertis dans l’humanitaire mĂ©diatique ou le mĂ©diatique rĂ©munĂ©rateur, ont vibrĂ© aux symphonies des formations rĂ©volutionnaires. Gourmands de mots, ils se rĂ©galaient de manifestes pour l’autogestion et le fĂ©dĂ©ralisme, le syndicalisme et le mutuellisme, agrĂ©mentĂ©s de quelques condiments Ă  la sauce Francfort et marcusienne, situationniste et freudo-marxiste. Le socialisme mĂątinĂ© de rĂ©volution sexuelle leur a toujours tournĂ© la tĂȘte… Rien n’est plus dĂ©licieux qu’un cocktail de Marx, de Charles Fourier et de Wilhelm Reich : un doigt d’aliĂ©nation, un autre de nouveau monde amoureux phalanstĂ©rien, et un soupçon de dĂ©dain pour la famille, cette fabrique d’idĂ©ologies scandaleusement autoritaires et de structures mentales pitoyablement conservatrices, c’est un mĂ©lange qui vous envoie tout droit au royaume de l’extase permanente et de la sociĂ©tĂ© sans classes… C’était le bon temps : les hippies et le pouvoir des fleurs, Thoreau et les odes Ă  la nature, les hallucinogĂšnes et l’art psychĂ©dĂ©lique, le bouddhisme niais façon zen et JĂ©sus-Christ superstar, Woodstock et le happening
 Il faudrait dire un jour, assez vite, que ce sont eux les nouveaux rĂ©acs
 Ils n’ont jamais Ă©tĂ© les fils de PromĂ©thĂ©e, mais ceux d’EpimĂ©thĂ©e


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 (9)

Eric DELBECQUE, [[En cette pĂ©riode de campagne pour la prĂ©sidentielle, il m’a paru indispensable de me livrer Ă  un travail « archĂ©ologique » sur le clivage droite/gauche]]. Cette promenade conceptuelle s’étalera sur une sĂ©rie d’articles d’ici mai 2017. Voici la premiĂšre Ă©tape de cette rĂ©flexion.PrĂ©sident de l’ACSE et membre du ComitĂ© Orwell. Il vient de publier : Le Bluff sĂ©curitaire Éditions du Cerf

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