Tribune du Pr. Hagay Sobol: Pourquoi la politique de la France au Moyen-Orient a changé

Publié le 2 juin 2018 à  21h08 - DerniÚre mise à  jour le 28 octobre 2022 à  18h49

Le coup d’envoi de la saison croisĂ©e franco-israĂ©lienne, en prĂ©sence d’Emmanuel Macron et Benjamin Netanyahou, est l’occasion de revenir sur la relation privilĂ©giĂ©e entre les deux pays, oscillant au grĂ© des Ă©vĂ©nements, entre soutien et incomprĂ©hension et plus gĂ©nĂ©ralement sur la politique moyen-orientale de la France qui a dĂ» s’adapter aux rĂ©cents bouleversements rĂ©gionaux.

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Destins croisés

La saison croisĂ©e qui se dĂ©roulera de «Juin Ă  novembre 2018, oĂč prĂšs de 200 Ă©vĂ©nements auront lieu en France et en IsraĂ«l, avec des colloques, des spectacles, des ateliers» sera l’occasion de mettre en avant ce qui rassemble les deux pays, et de montrer que l’histoire de la « Terre Sainte » ne se conjugue pas au passĂ© ou ne se rĂ©sume pas au seul conflit israĂ©lo-palestinien. En 70 ans, la contribution de l’État HĂ©breu, en termes d’innovations et de production culturelle, est sans commune mesure avec sa taille, Ă©quivalent Ă  deux dĂ©partements français. Des apports essentiels qui ont transformĂ© notre vie quotidienne, allant de la clĂ© USB et autres dĂ©veloppements informatiques, en passant par le domaine de la santĂ© ou l’agriculture, avec la cĂ©lĂšbre irrigation au «goutte Ă  goutte» qui «a fait fleurir le dĂ©sert ». Ce dynamisme lui a valu le surnom de «start-up nation».

Une relation passionnelle

Il y a quelque chose de passionnel dans les relations entre les deux alliĂ©s, Français et IsraĂ©liens. Allant de l’intense Ă©motion qui a saisi l’ONU, avec des applaudissements Ă  tout rompre, lorsque la France a votĂ© en faveur du partage de la Palestine mandataire et de la crĂ©ation d’IsraĂ«l. Jusqu’à la « fĂącherie », quand l’État HĂ©breu refusa de suivre la ligne du GĂ©nĂ©ral de Gaulle et d’attendre les premiĂšres attaques des lĂ©gions arabes, au profit d’une campagne prĂ©ventive en 1967, la «guerre des six jours».

Mais, au-delĂ  des aspects diplomatiques qui peuvent diverger, ce qui unit les deux pays est profond. C’est une communautĂ© culturelle, et de valeurs qui permettent, malgrĂ© les vicissitudes, de prĂ©server un lien fort. IsraĂ«l est un Ăźlot de francophonie au sein du Moyen-Orient et les IsraĂ©liens de culture française ne manquent jamais une occasion de mettre en avant cet hĂ©ritage. Mais surtout, les pĂšres fondateurs de l’État HĂ©breu, Ă  l’image de David Ben Gourion, voyaient dans la dĂ©mocratie tricolore un modĂšle.

Une politique arabe de la France

La politique moyen-orientale de la France est largement hĂ©ritiĂšre des accords Sykes-Picot de 1916 qui prĂ©voyaient la rĂ©partition de la dĂ©pouille de l’Empire Ottoman entre Londres et Paris. Ce partage est Ă  l’origine de la plupart des pays actuels. En particulier, Ă©tait dĂ©volu au Pays des droits de l’Homme, l’administration de ce qui allait devenir le Liban et de la Syrie. Des dĂ©coupages frontaliers artificiels portaient en germe les conflits Ă  venir. Au sein d’une majoritĂ© d’États musulmans, le Liban multiculturel Ă  forte population chrĂ©tienne maronite, Chypre Ă  majoritĂ© chrĂ©tienne orthodoxe et l’État juif d’IsraĂ«l faisaient figure d’exception. Dans cette perspective, la pĂ©rennitĂ© des pays Ă  majoritĂ© arabe semblait plus assurĂ©e que ceux Ă©numĂ©rĂ©s. Et de fait, aujourd’hui, le Liban est sous une quasi-tutelle iranienne, via le Hezbollah chiite, Chypre a vu le tiers de son territoire occupĂ© par la Turquie, et l’État HĂ©breu a fait face depuis sa crĂ©ation Ă  plusieurs guerres avec ses voisins. Cependant, force est de constater, avec l’irruption de Daesh et la politique hĂ©gĂ©monique de la RĂ©publique islamique d’Iran, que les pays Ă  majoritĂ© arabe, ceux que l’on pensait les plus stables, sont aujourd’hui morcelĂ©s ou les plus menacĂ©s, Ă  l’image de la Syrie, de l’Irak, du YĂ©men ou des pays du Golfe.

Une politique moyen-orientale intégrant Israël

Si la France a longtemps privilĂ©giĂ© ses liens avec les pays qu’elle a administrĂ©s Ă  l’époque de l’Empire, et par extension avec les pays exportateurs de pĂ©trole et de gaz, pour des raisons Ă©nergĂ©tiques Ă©videntes, progressivement une politique israĂ©lienne indĂ©pendante s’est fait jour. Elle s’est amplifiĂ©e Ă  mesure que les deux pays Ă©taient confrontĂ©s aux mĂȘmes dangers, au premier plan desquels, le terrorisme islamiste. En effet, la France opĂ©rant contre les groupes djihadistes en Afrique et en Syrie, ainsi que les attentats sur le territoire national, ont rendu indispensable le partage rapide d’information et du savoir-faire israĂ©lien.

Mais c’est Ă©galement sur le dossier iranien que l’on trouve des convergences notables, mĂȘme s’il existe des points de divergence. En effet, lors de la signature du JCPoA, – l’accord de Vienne sur le nuclĂ©aire iranien de 2015 -, la France de François Hollande a toujours Ă©tĂ© sur une ligne ferme comparĂ©e Ă  celle des autres pays signataires du P5+1, – Allemagne, Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie. Et lors du discours de Sofia, le 17 mai 2018, le PrĂ©sident Emmanuel Macron a exprimĂ© des exigences similaires Ă  celles de Donald Trump et Benjamin Netanyahou en Ă©largissant «la discussion au nuclĂ©aire aprĂšs 2025, Ă  l’activitĂ© balistique de l’Iran et Ă  l’activitĂ© rĂ©gionale de l’Iran, en particulier en Irak, en Syrie, au YĂ©men et au Liban.»

Mais le changement le plus radical est la prise en compte de l’axe constituĂ© par les pays sunnites pragmatiques (Égypte, Jordanie, Arabie Saoudite et d’autres Pays du Golfe) avec IsraĂ«l. Cette coalition, impensable il y a quelques annĂ©es, s’est forgĂ©e Ă  l’aune des dangers communs que reprĂ©sentent la politique expansionniste des Mollahs de TĂ©hĂ©ran et des groupes djihadistes sunnites. Cette coopĂ©ration rĂ©gionale, ainsi que l’avantage qualitatif de Tsahal (ArmĂ©e de dĂ©fense d’IsraĂ«l), ont modifiĂ© de maniĂšre substantielle les rapports de force rĂ©gionaux. Cela a conduit Ă  une interaction trĂšs forte entre les États-majors amĂ©ricain et israĂ©lien, mais Ă©galement russe, en fonction des dossiers et de l’intĂ©rĂȘt du Kremlin. Ce qui n’exclut nullement une coordination entre les USA, la Grande-Bretagne, la France et IsraĂ«l comme rĂ©cemment lors la rĂ©ponse musclĂ©e faisant suite aux attaques chimiques du rĂ©gime syrien, pourtant alliĂ© de Moscou.

Les hydrocarbures comme facteurs de stabilisation entre l’UE, la Turquie et IsraĂ«l

Un autre Ă©lĂ©ment majeur jouant dans la redistribution des cartes est le fait que l’État HĂ©breu a rejoint le club des pays producteurs et exportateurs d’hydrocarbures avec les forages en MĂ©diterranĂ©e Orientale. Cela impacte positivement sur les relations avec ses voisins directs, comme l’Égypte ou la Jordanie, mais Ă©galement sur la politique europĂ©enne. En effet, l’Italie, la GrĂšce et Chypre ont signĂ© des accords Ă©nergĂ©tiques, ouvrant la voie au pipeline EastMed, souvent doublĂ©s d’une coopĂ©ration militaire accrue. MĂȘme la Turquie, pourtant trĂšs critique vis-Ă -vis de l’État HĂ©breu et en tension avec les deux derniers partenaires, a signĂ© des accords gaziers. Quand on mĂšne une politique europĂ©enne volontariste, comme celle du gouvernement Édouard Philippe, on ne peut que promouvoir ce type d’évolution qui renforce l’UE et favorise la stabilitĂ© du Moyen-Orient, en Ă©loignant la diatribe guerriĂšre d’Ankara qui menace de remettre le pied sur le PĂ©loponnĂšse.

Une occasion d’aller de l’avant

Le PrĂ©sident Emmanuel Macron et le Premier ministre Netanyahou seront prĂ©sents Ă  l’ouverture de cette saison croisĂ©e. On peut ĂȘtre certain que les deux dirigeants s’exprimeront sans ambiguĂŻtĂ©, chacun dĂ©fendant sa ligne, avec franchise comme le font deux alliĂ©s. Mais, si l’embargo dĂ©crĂ©tĂ© par le GĂ©nĂ©ral de Gaulle, Ă  la suite de la guerre des six jours, a pour ainsi dire «jetĂ© IsraĂ«l dans les bras des USA», la complexitĂ© et la gravitĂ© de la situation actuelle, ainsi que le fait d’ĂȘtre confrontĂ© aux mĂȘmes dangers, est propice Ă  Ă©crire un nouveau chapitre des relations entre la France et IsraĂ«l, oĂč ce que les deux pays ont en partage est beaucoup plus important que leurs dĂ©saccords potentiels.

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