Aix-en-Provence. Théâtre du Jeu de Paume : Eric Elmosnino campe un « Misanthrope indigné et amoureux» dans une remarquable mise en scène de Georges Lavaudant

Du Misanthrope de Molière on connaît pour ne citer qu’eux les interprétations tout en finesse de Gilles Privat, que l’on vit au Jeu de Paume dans la mise en scène de Alain Françon, Thierry Hancisse, Jacques Weber, Patrice Kerbrat, Marc Delsaert, Loïc Corbery, Denis Podalydès, sans oublier, moment fort de la télévision l’incarnation d’Alceste par Jean Rochefort aux côtés de Jean Desailly, Marie-Chistine Barrault, et Jacques Charron. On passera sur celle à côté du sujet que l’on doit à Lambert Wilson dans la version outrancière signée Peter Stein. Ce dernier y proposait un Misanthrope en colère, vociférant à tout crin, oubliant comme le souligne le sous-titre de la pièce que son personnage est avant tout…amoureux.

Destimed Eric Elmosnino dans Le Misanthrope Photo Marie Clauzade
Eric Elmosnino inoubliable est Alceste (Photo Marie Clauzade)

Point d’égarement de ce genre chez le metteur en scène Georges Lavaudant qui signe une version équilibrée, d’une intelligence absolue, où Eric Elmosnino campe un Alceste avant tout….indigné. S’il rugit c’est d’amour contrarié, ses mains sans cesse en mouvements se tordant pour signaler son trouble, son désarroi. Remarquable l’acteur se retrouve face à Mélodie Richard (on la connaît également pour ses enregistrements de livres audios avec Pierre-François Garel) qui montre avec espièglerie, et émotion combien Célimène demeure un astre organisant autour d’elle comme le rappelle Lavaudant « le ballet de ses satellites ». Tout fonctionne à merveille et chaque interprète, véritable Stradivarius en l’occurrence à la diction parfaite éclaire son personnage d’un jour nouveau, réunis autour d’un profond travail de troupe. Citons les tous : Astrid Bas exceptionnelle Arsinoé, d’un niveau égal à celui de Alberte Aveline, la référence du rôle à mes yeux, Luc-Antoine Diquéro Clitandre, Anysia Mabe Éliante, François Marthouret drôle en Philinte philosophe, Aurélien Recoing Oronte, Thomas Trigeaud Du Bois, Bernard Vergne Basque, et Mathurin Voltz en Alcaste qui joua aux côtés de Weber, et qui marqua les esprits à Avignon dans « 20 novembre » de Lars Noren. Qui a enregistré également bon nombre de livres en lecture audio dont « Le fils de l’Homme » de Jean-Baptiste Del Amo, ou « le Grand Meaulnes » de Henri Allain-Fournier.

La plus incroyable dispute de femmes du Théâtre français

Destimed Celimene entouree de ses courtisans et de Eliante Photo Ephrem Koering
Célimène entourée de ses courtisans et de Eliante (Photo Ephrem Koenig)

Résolument féministe la mise en scène de Georges Lavaudant réhabilite comme il se doit Célimène qui affirme au passage à Arsinoé qui lui reproche ses nombreux amants « qu’il n’est pas temps d’être prude à vingt ans». L’affrontement entre les deux séparées par une vision différente de l’existence liée à leurs âges respectifs, et qui donne naissance à la plus incroyable dispute de femmes du théâtre français est abordée ici avec tout l’éclat nécessaire mais également grâce à la profondeur de vue observée par Georges Lavaudant. Les dévots et les Prudes contre les Libertins en quelque sorte et c’est flamboyant d’intelligence. Tout comme l’absence d’accessoires inutiles, Georges Lavaudant rejoignant en cela le travail d’un Nicolas Liautard qui dans sa mise en scène n’utilisait pour seuls décors que quelques lustres, s’abstient  de charger le plateau d’éléments superflus. Un panneau devant lequel se fixe l’action et qui se tournant laisse entrevoir l’intérieur de Célimène, l’oeil du spectateur n’est pas distrait, pouvant mieux se concentrer sur le texte. Peter Brooks qui avait affirmé que lorsque un chien traverse la scène on ne regarde que le chien et plus la pièce aurait apprécié.

Eric Elmosnino bouleversant et un humour à la Lubitsch

Comédie brillante subtile, moderne, mais « pas trop car Alceste, comme le dit Lavaudant, qui est né trop vieux pour un siècle trop jeune, demeure toujours un personnage de l’ancien temps ». Le rapport de classes est bien mis en valeur par le metteur en scène qui offre une version d’une élégance quasi musicale, rythmée comme on nous le signale « par l’éclat métallique des alexandrins, Alceste et Célimène croisant les vers comme on croise le fer. » Et surtout, ce n’est pas chose courante dans les mises en scène du Misanthrope Georges Lavaudant laisse entrevoir ici l’humour sous-jacent de la pièce. Un humour et une ironie assez graves comme on les trouve dans les films de Lubitsch, réalisateur que le metteur en scène affectionne particulièrement. Il y a des dizaines d’interprétations visibles du rôle d’Alceste. Redisons combien Eric Elmosnino est inoubliable de densité, d’intelligence, de finesse bouleversante. Un grand spectacle en fait, d’une justesse, d’une beauté formelle (notamment dans les costumes) et d’une humilité absolues. Molièrissimo que tout cela !

Jean-Rémi BARLAND

« Le Misanthrope » au Jeu de Paume, 21 rue de l’Opéra – 13100 Aix, du mardi 25 novembre  au samedi 29 novembre à 20heures  sauf le mercredi 26 novembre à 19 heures, le 27 novembre à 11 heures – Réservations et renseignements  au guichet de 13hà 18h ou sur le site www.lestheatres.net

Articles similaires