Centre dramatique national d’Orléans – Guillaume Costanza saisissant dans « Le colonel des zouaves » d’Olivier Cadiot adapté et porté à la scène par Ludovic Largarde

Le synopsis du très beau livre en forme de monologue « Le colonel des zouaves » d’Olivier Cadiot publié en 1997 chez P.O.L tient dans le creux d’une main : « Exilé dans son entresol, un domestique zélé tente d’améliorer son service. La conscience professionnelle tourne très vite à l’obsession dévorante. Il s’oblige à inventer des méthodes de plus en plus complexes et inutiles comme Robinson dans son île, cherchant à contrôler à l’infini tous les stades de son travail. » Laurent Poitrenaux a interprété plus de 200 fois ce personnage de majordome obsessionnel. Guillaume Costanza prend désormais la relève dans cette nouvelle version, vue au CDN d’Orléans.

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Guillaume Costanza dans « Le colonel des zouaves » (Photo Simon Gosselin)

Projet unique de passation d’un rôle, cette transmission, comme un pont entre générations, nous raconte l’histoire du théâtre et honore plus que jamais l’art de l’acteur. D’emblée on est saisis par la force de l’écriture. « L’allée carrossable débute dès l’ouverture des grilles et se poursuit dans l’obscurité plusieurs kilomètres. S’il n’y avait les brusques plages de prairies enfermées par des murailles de cèdres, noirs, on pourrait imaginer descendre sous terre. Après d’innombrables tournants, le tunnel obscur débouche sur une façade. Tudor en briques presque grises, boursouflées de verrières élisabéthaines. »

Il convient surtout de ne pas aborder de manière cartésienne cette confession de celui qui affirme : «Je suis une miette dans les haies de laine verte, mon nom est truc, machin, Rob, je sais pas, je suis avalé dans les allées du du paradis, je chante bouche fermée :” curieux/C’est pas une rose que j’touche/C’est toujours toi”. Je n’entends plus rien. Je suis une miette de laine verte, mon nom est truc »…  Il le répète ajoutant : «Je me demande vraiment à quoi et à qui sert cette démocratie des sensations “moi j’pense ci, et moi j’pense ça…”  C’est fou cette idée que les gens doivent donner leur avis d’où ça sort – “On ne le sait que trop”, dit l’invité inconnu. »  Il faut se laisser envelopper par le rythme des phrases, les méandres d’un texte sinueux entre expression de soi et analyse en creux de la lutte des classes.

Avec intelligence, pertinence, et un sens inné de la mise en scène, Ludovic Lagarde place son comédien au centre du plateau, ne le fait que fort peu se déplacer autrement qu’en cercle s’attachant à offrir une scénographie ronde, d’où l’on est ballotés d’émotions en émotions. Bousculés, émerveillés aussi, subjugués. C’est d’autant plus magique que Guillaume Costanza incarne plus qu’il ne joue, où, sans crier il fait dire à son antihéros des choses importantes. Une heure trente durant, il est comme habité, possédé, et nous le sommes avec lui. Un grand moment dans une aventure théâtrale créée par Laurent Poitrenaux au sein du même travail fondateur de Ludovic Lagarde. Du coup cela pourrait s’appeler « Zouave for ever ».

Zouave for ever

Ce rôle et sa récente transmission Laurent Poitrenaux en parle avec émotion. « En 1997, je créais “Le Colonel des Zouaves” d’Olivier Cadiot, dans une mise en scène de Ludovic Lagarde. Ce spectacle est l’un des plus beaux cadeaux que mon métier m’ait offert. Je le considère même comme mon véritable acte de naissance d’acteur. Il a été l’occasion de rencontres artistiques essentielles qui, au fil du temps, se sont transformées en amitiés théâtrales. Il a également été le creuset de tous mes fondamentaux d’acteur, que cela soit via l’exigence que propose l’écriture d’Olivier, la découverte de la voix sonorisée aux côtés de Gilles Grand ou du travail corporel avec Odile Duboc qui m’a révélé à moi-même, tout ceci sous le regard bienveillant et inspiré de Ludovic Lagarde, sans qui toute cette aventure n’aurait pas existé. »

« Avec ce spectacle, poursuit-il, il y a donc bien eu pour moi un avant et un après. Ce que j’ignorais alors, c’est qu’après avoir reçu un accueil enthousiaste, il allait m’accompagner 25 ans durant, une expérience rare pour un acteur. Durant toutes ces années, c’était un bonheur sans nom que de retrouver ce monologue qui a évolué avec moi, qui m’a fait grandir, qui m’a vu grandir. Il m’a permis, à la manière d’un spectacle étalon, de mesurer mon évolution d’acteur, de définir encore et encore mes nouveaux manques comme mes nouvelles forces. Ce spectacle s’est nourri de ma vie d’homme, et ses résonances en moi ont évolué, se sont complexifiées, enrichies. J’ai goûté ce bonheur pendant 25 ans… puis est arrivé le moment où l’idée de transmettre ce spectacle s’est imposée à moi. »

Et quand on voit à quel niveau d’exigence artistique Guillaume Costanza place son « Colonel des zouaves » proche de la folie, saisi entre rêves de beauté, et cauchemars sociaux, on applaudit des deux mains. Tournant le dos à toute tentative de performance, humble et précis, faisant de son personnage solaire et inquiétant une création antique (avec poids du fatum) se rapprochant par instants du « Seigneur des porcheries » le chef d’oeuvre de Tristan Egolf qui porte en sous-titre «Le temps venu de tuer le veau gras et d’armer les justes » l’acteur est inoubliable. On ajoutera le travail sublime de création sonore signé Johana Beaussart, la musique de Gilles Grand, et la collaboration artistique de la chorégraphe Odile Dubosc.

Jean-Rémi BARLAND

Nous avons recueilli les impressions de Guillaume Costanza comédien surpuissant, qui, né à Marseille, s’impose en « domestique souple, flexible, adaptable aux désirs du client » tout entier au service du texte.

Guillaume Costanza : « Cette aventure du “Colonel des Zouaves”  transforme l’acteur que je suis. »

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Guillaume Costanza dans « Le colonel des zouaves » (Photo Simon Gosselin)

Destimed: Quel est votre parcours  et quels sont les rôles qui vous ont marqué ?

Guillaume Costanza : Je suis né à Marseille. J’ai été formé au Conservatoire d’Art Dramatique de Marseille, avant d’intégrer l’École Nationale Supérieure d’Art Dramatique de Montpellier. Par la suite, j’ai rencontré un metteur en scène qui a été important pour moi, Arthur Nauzyciel. J’ai joué sous sa direction dans La Dame aux Camélias, puis dans Mes frères, de Pascal Rambert. J’ai par ailleurs travaillé sous la direction d’Angélica Liddell dans plusieurs de ses créations, notamment Caridad, ou encore Dämon. Sa rencontre m’a transformé. Au théâtre j’ai eu la chance d’être plongé dans des univers très différents. C’est pour moi une grande richesse. Aujourd’hui je travaille avec Ludovic Lagarde et bien sûr, cette aventure du Colonel des Zouaves transforme l’acteur que je suis. Ce ne sont pas tant les rôles qui me marquent, mais le travail, les gens avec qui je le fais.

Comment êtes-vous arrivé sur l’aventure de ce « Colonel des Zouaves » créé sur les planches par Laurent Poitrenaux il y a vingt-huit ans ? Et comment s’est déroulée la passation du rôle ?

C’est Laurent Poitrenaux qui a eu cette idée de passation. Puis il m’a entendu par hasard lire un monologue, Sous l’Orme, que j’allais bientôt jouer au Théâtre des Quartiers d’Ivry. Il m’a avoué plus tard que c’est en m’entendant dans cette lecture qu’il s’est dit : « C’est lui. ». Ensuite la machine s’est mise en route. La rencontre avec Ludovic Lagarde a été décisive. Puis Laurent s’est légèrement mis en retrait, et nous avons commencé le travail avec Ludovic.

Avez-vous eu un retour de Laurent Poitrenaux sur votre interprétation ?

Laurent m’accompagne, il n’est jamais loin de moi.

Que pensez-vous de cette œuvre signée Olivier Cadiot ? Et lui qu’a-t-il pensé de votre travail ?

C’est un texte absolument étourdissant. Une chance dans un parcours d’acteur de se familiariser avec une langue aussi belle, aussi précise. Olivier est très enthousiasmé par cette passation.

Comment avez-vous travaillé avec Ludovic Lagarde ? 

Nous avons travaillé comme si c’était une création. Ludovic est vraiment parti de l’acteur que je suis, de mon corps, de ma voix. On n’a jamais essayé de « faire pareil », évidemment. Au final c’est le même spectacle, et c’est pourtant très différent. Mon travail a été de m’approprier tout cela. Avec la grande joie parfois de rencontrer le fantôme ami de Laurent, dans une phrase, une virgule, un geste.

Quelles furent les principales difficultés de jeu ? Les moments les plus évidents ?

Rien n’a été vraiment difficile, il s’agit simplement d’avoir une vision d’ensemble pour ensuite pouvoir jouir du détail, d’amadouer peu à peu la difficulté pour pouvoir prendre du plaisir dans chaque mouvement.

Comment avez-vous travaillé avec Johana Beaussart qui signe une magnifique création sonore ? 

Johana a fait un travail similaire au mien. Il a fallu qu’elle s’approprie la partition sonore de Gilles Grand, qu’elle la fasse sienne.

Quels sont vos projets ?

De continuer à travailler avec les gens que j’aime ; et de plonger dans de nouveaux univers, avec des gens que je ne connais pas encore.

Propos recueillis par J.R.B

« Le colonel des zouaves » d’Olivier Cadiot est publié chez P.O.L.

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