Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. Avec « Une sale française » Romain Slocombe poursuit son étude romanesque des années sombres de la collaboration de notre pays avec l’Allemagne nazie.

Se définissant comme un écrivain réaliste Romain Slocombe veut montrer dans ses livres (une trentaine à ce jour) la vie telle qu’elle se déploie réellement. Admiratif du Général de Gaulle, qui, selon lui, possédait une vision prophétique de l’Histoire, ce grand romancier, né à Paris en 1953 dans une famille franco-britannique, poursuit la construction d’une œuvre forte projetant le lecteur dans le monde gris que fut la France des années sombres de l’Occupation allemande.

Destimed Romain Slocom Une sale francaise
Romain Slocombe le romancier de la France occupée (Photo Jean-Rémi Barland) –  (Photo couverture Jean-Raymond-Hiebler)

Son père, architecte grand prix de Rome a rencontré sa mère, en revenant du Mexique courant 1938 sur un bateau qui faisait la liaison New York-Le Havre. La guerre éclata. Ils se sont mariés, puis sont partis vers les Antilles, et à New York. Le père se retrouva engagé volontaire dans l’armée de Patton quand les USA sont entrés en guerre et participa à la bataille des Ardennes, puis est allé jusqu’à Prague de peur que cette ville ne tombe. La vie de toute la famille de Romain Slocombe fut à elle seule une épopée puisque son grand-père a vécu le Blitz, sa grand-mère était juive, et par miracle personne n’a été déporté. Cela a nourri en quelque sorte l’imaginaire d’écriture de Romain Slocombe dont les romans à la Simenon où, chaque chapitre semble être écrit comme une nouvelle, s’appuient sur des dialogues retranscrits de manière complète et précise.

« Quand je suis plongé dans une scène d’interrogatoire,  je vais retranscrire les échanges des uns et des autres dans leur intégralité, la scène devenant alors plus intense. La situation créant les dialogues, ceux-ci apparaissant au final comme très naturels. D’ailleurs Simenon disait qu’il ne coupait pas trop les dialogues. Je fais de même pour que le lecteur ait la sensation d’être à côté de ces gens dont on évoque les agissements parfois très louches», explique Romain Slocombe. Ayant fréquenté des mondes très différents, ayant milité dans un milieu d’ouvriers maoïstes, cet écrivain de gauche, moraliste jamais moralisateur défend l’idée qu’une opinion politique demeure une opinion, pas forcément un crime en précisant qu’il peut débattre avec quelqu’un de droite ayant une vision très différente de la sienne.

L’Inspecteur collabo Sadorski, l’anti-Maigret

Cela a donné entre autres, à ce jour, six volumes romanesques consacrés aux agissements de l’inspecteur Léon Sadorki, meilleur flic de France, mais ordure absolue, qui livra des juifs, commit même des crimes, tout en parvenant à résoudre des enquêtes ô combien compliquées. « Je me suis inspiré pour ce personnage du flic parisien Louis Sadoski, qui a réellement existé, qui fut inspecteur principal adjoint à la 3e section des Renseignements Généraux. C’est un anti-Maigret », décrit-il avant d’ajouter: « J’ai construit ce portrait en mouvements d’un spécialiste de la dénonciation, flic dégueulasse sans aucune compassion très éloigné du commissaire de Simenon -auteur que j’admire par dessus tout- qui par moments possède, je trouve, beaucoup trop d’empathie à l’égard des criminels pour être entièrement crédible.» Six romans à ce jour donc, pour un total de neuf prévus, Romain Slocombe écrivant en ce moment le septième qui s’intitulera : « Sadorki chez le docteur Satan ». Tout un programme ! A suivre donc !

Marseille pendant la guerre

Pour composer la trame de son roman « Une sale française » texte publié indépendamment de la série Sadorski, Romain Slocombe s’est là encore beaucoup documenté, et notamment sur la vie à Marseille durant la guerre. Pas de tire-larmes ici non plus, pas de pathos, du sans effets, pas de gras que du muscle. De Paris à la cité phocéenne, via des rêves de fuite en terre algéroise, le roman brosse le portrait d’une femme complexe interrogée au début du récit par un commissaire de police qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale s’intéresse de près à son cas. « Je me nomme Beaucaire, née Hoffert Aline, le 6 février 1911 à Wittelsheim (Haut-Rhin), de Hoffert Aloys et de Muller Émilienne. Je suis de nationalité française et j’ai déjà été condamnée, le 13 octobre 1942, par le tribunal militaire de Marseille à deux ans de prison, confiscation des biens, cinq ans d’interdiction de séjour, pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État, en raison de mon rôle supposé dans l’affaire Brancaleoni-Carmas, Spietz-Decroix. Je n’étais pas coupable, monsieur le commissaire, et suis la victime d’une erreur judiciaire. Tout ce que l’on pourrait me reprocher c’est d’avoir été imprudente.»

En quelques ligne de cette confession datée du 11 septembre 1947 qui ouvre le roman, Romain Slocombe présente à la fois celle qui se dit « une femme sans histoires », plante le décor de l’intrigue, et nous annonce en fait qu’il s’agira ici d’une enquête, avec retours en arrière, truffée de mensonges et de vérités. Un roman à l’écriture couleur sépia très dans l’esprit du film de Louis Malle « Lacombe Lucien » avec ambiance à la Modiano. Nous y suivons le parcours non pas d’une mais de deux femmes, dont les noms sont presque identiques. Celle qui nous parle est une Alsacienne, femme de ménage dans des hôtels, qui est tombée amoureuse d’un sergent pilote trop beau pour être honnête. La deuxième, Aline Bockert, née en Suisse et surnommée la « Panthère rouge », a fréquenté assidument la Gestapo à travers l’Europe et participé à ses crimes. Mais pour Féréol Chaumont, flic de province obstiné, qui s’intéresse de près à son cas, Aline la Française est-elle aussi innocente qu’elle veut nous le faire croire ? Comme toujours chez Romain Slocombe, les flics, pourris ou pas, sont de fins limiers aux pouvoirs déductifs hors normes.

En attendant le retour de Sadorski….

Ainsi nous obtiendrons, au terme de ce qui est un thriller historique, des réponses précises sur les agissements des uns et des autres. Multiplication des points de vue, comptes rendus précis de pièces judiciaires ou de police, plongée dans les rouages de la Milice et de l’espionnage allemand et soviétique, Guerre d’Algérie en arrière-fond, « Une sale française », au style limpide, s’impose autant pour sa force narrative que pour sa propension à transformer au fil des pages un simple récit en un document pour l’Histoire. En attendant le retour de Sadorski, voilà donc un nouveau roman de Slocombe, écrivain au long cours, au souffle exceptionnel.

Jean-Rémi BARLAND

« Une sale française » par Romain Slocombe – Le Seuil – 270 pages – 20 €

 

 

 

 

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