Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. Le Goncourt 2025 à Laurent Mauvignier, le Renaudot à Adélaïde de Clermont-Tonnerre, le Renaudot Essai à Alfred de Montesquiou : l’excellence primée

On vous l’avez annoncé ici le 18 août dernier alors qu’aucune liste n’était publiée : Laurent Mauvignier était l’un des favoris du Goncourt 2025. C’est chose faite ! Il l’a obtenu avec « La maison vide » ! Au premier tour, par 6 voix contre 4 non pas face à Emmanuel Carrère mais devant Caroline Lamarche, pour « Le bel obscur » un livre publié au Seuil, le seul de la liste des finalistes à ne pas appartenir au groupe Madrigal qui, présidé par Antoine Gallimard, est devenu le quatrième groupe éditorial français. Et ce n’est que justice.

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Laurent Mauvignier (Photo Hélène Bamberger)

Fort de ses 753 pages « La maison vide » de Laurent Mauvignier est un chef d’œuvre qui raconte une histoire de famille compliquée, avec en toile de fond de départ la découverte par le narrateur de la photo d’une de ses grands-mères, dont le visage a été effacé sur chacune de ses photos. Pourquoi ? Telle est une des questions de ce livre-enquête dont le titre « La maison vide » renvoie à une maison de famille  redécouverte après avoir été laissée vingt ans à l’abandon. Un style puissant fait longues phrases serpentines, l’auteur qui n’a jamais été primé et dont « Ce que j’appelle oubli » fut donné en théâtre à Avignon, et qui avait ébloui avec « Retour à Berratham » co-produit et mis en scène par Angelin Preljocaj, donné à Aix et à Avignon obtient enfin la récompense suprême. Né en 1967, Laurent Mauvignier est diplômé des Beaux Arts de Tours, d’où il est originaire. En 1999, paraît son premier roman, Loin d’eux, aux Éditions de Minuit, qui publieront tous ses livres par la suite. En 2011, paraît Ce que j’appelle oubli fiction écrite à partir d’un fait divers, et qui a déjà inspiré Angelin Preljocaj pour un ballet. Ses textes, traduits en plusieurs langues, refusent le silence et n’oublient jamais « les êtres blessés qui tentent de résister au flot de l’Histoire ». C’est prodigieux et terriblement émouvant.

« La maison vide » par Laurent Mauvignier – Editions de Minuit, 744 pages, 25 €

Adélaïde de Clermont-Tonnerre réhabilite la Milady de Dumas

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre – (Photo JF Paga)

C’est avec « Je voulais vivre », publié chez Grasset que Adelaïde de Clermont-Tonnerre vient d’obtenir le Prix Renaudot 2025. Ample, et facile d’accès, généreux comme son auteure, ce roman rend hommage aux grands textes populaires de qualité et nous replonge dans le destin tragique de La Milady  des « Trois mousquetaires» d’Alexandre Dumas. S’appuyant, en quelque sorte, sur l’idée défendue dans le film de John Ford « L’homme qui tua Liberty Valance » à savoir : « Quand la légende dépasse la réalité, publiez la légende ! », Adélaïde de Clermont-Tonnerre avec « Je voulais vivre » a pris le contre-pied de l’écrivain Alexandre Dumas, en faisant de la Milady des « Trois mousquetaires » une femme libre menant pour sa survie un jeu dangereux. On n’en oublie presque d’ailleurs chez lui comme chez elle que cette femme apparemment « manipulatrice sans foi ni loi, traîtresse, empoisonneuse, criminelle au visage angélique », dont la mort compte parmi les pages les plus exceptionnelles de la littérature française n’a jamais existé, et qu’elle n’est que le fruit de l’imagination de son auteur.

Rendre Milady plus vraie que nature, en la racontant d’abord victime de la violence des hommes, c’est tout un roman ! Et quel roman ! Un roman de cape et d’épée de souffrances et de larmes, de trahisons aussi, qui montre combien Adélaïde de Clermont-Tonnerre est une styliste foisonnante autant qu’une conteuse virtuose. Au départ le constat que n’apparaissent que peu de choses positives sur Milady dans le roman de Dumas. Et surtout que condamnée à mort puis exécutée au terme d’un simulacre de procès elle ne trouva personne pour la défendre. C’est chose faite ici. Se glissant dans les blancs du texte de Dumas, « Je voulais vivre » lui donne la parole, et pas à pas brosse le portrait d’une future criminelle au visage angélique revenue de l’enfer dans lequel l’a plongée sa naissance. Tout au long d’une première partie très hugolienne, l’auteure raconte comment la petite Anne, future Lady Clarick, qui fut aussi l’épouse du mousquetaire Athos, et l’ennemie jurée de D’Artagnan fut recueillie enfant après l’assassinat de sa mère par le père Lamandre homme profondément bon, qui, outre le fait de l’avoir sauvée de la faim, pourvoira à son instruction et plus tard lui léguera par testament sa bibliothèque de plusieurs centaines de volumes. Celle qui murmurera un jour à l’oreille de Richelieu ressemble à bien des égards à l’héroïne du roman « L’été meurtrier » de Japrisot qui n’a de cesse, on verra pourquoi de se faire justice.

Clin d’oeil à l’ « Aurélien » d’Aragon

« La première fois qu’Anne vit le père Sanson, elle le trouva franchement falot », peut-on lire page 109 de « Je voulais vivre ». Ce clin d’œil évident à la première phrase du roman « Aurélien » d’Aragon : « La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide » signale le souhait d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre d’inverser les points de vue et de ne plus placer le fil du récit sous le regard des hommes mais selon le ressenti d’une femme. Non d’une femme qui pleure, mais qui se venge, nous précise-t-on, si bien que le roman s’impose comme un plaidoyer féministe d’une brûlante modernité. Avec comme chez Aragon une propension à se faufiler dans les interstices d’une société très refermée sur ses privilèges. Et Adélaïde de Clermont-Tonnerre de signer avec humilité une épopée digne des grands opus de la littérature populaire chère à Gaston Leroux, ou Paul Féval. Dumas l’aurait applaudie.

« Je voulais vivre » par Adélaïde de Clermont-Tonnerre- Grasset, 478 pages, 24 €

Alfred de Montesquiou raconte « Le Procès de Nuremberg » par ceux qui en furent les témoins

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Alfred de Montesquiou (Photo Jean-Rémi Barland)

Renaudot 2025 de l’essai, une récompense obtenue alors qu’il ne figurait pas sur la liste finale, Alfred de Montesquiou signe avec « Le crépuscule des hommes » un texte puissant évoquant le procès de Nuremberg vu par ceux qui en furent les témoins. Nous avions dit ici le 21 septembre dernier tout le bien que nous pensions de ce livre hors norme, remarquablement écrit et d’une qualité historique sans failles. Si l’on ajoute que Nathasha Appanah a obtenu le Prix Femina et Yanick Lahens le prix de l’Académie Française, on peut dire en attendant le Médicis où désormais Emmanuel carrère fait figure de favori que l’excellence littéraire a été primée cette année.

« Le crépuscule des hommes » par Alfred de Montesquiou – Laffont, 382 pages,  22 €.

Jean-Rémi BARLAND

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