Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. Rencontre avec Arnaud Cathrine pour son « Roman de plages »

Rencontre avec Arnaud Cathrine venu présenter au Festival « Oh les beaux jours ! » de Marseille son « Roman de plages ».

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Arnaud Cathrine vient de présenter “Roman de plages” le récit d’une traversée intime et existentielle d’un homme souffrant d’une rupture avec la femme qu’il a aimée. (Photo Jean-Rémi Barland)

Écrivain de presque 50 ans, Raphaël sombre dans la dépression quand Anna sa femme depuis vingt ans lui annonce qu’elle le quitte. « Tu as quelqu’un ? », lui demande-t-il . « Non je n’ai personne » lui précise-t-elle. « Mais alors pourquoi ? », insiste-t-il. La réponse est sans appel : « Pour rien. Je ne t’aime plus ». Tsunami intérieur. Effroi. Cet homme détruit va sur les conseils de son éditeur s’exiler en faisant le tour des littoraux français avec l’intuition que la fréquentation quotidienne des rivages leur beauté puissante va réveiller la vie en lui. Ce sera La Grande-Motte, où Mona, une prof d’histoire-géo, avec qui il se liera d’amitié, lui loue un petit appartement.  Pyla-sur-Mer, ensuite en bordure d’Arcachon où notre narrateur après avoir tenté de retrouver la maison habitée par son grand-père, recueille les confidences de Loïs, un adolescent  qui vient de passer le bac français (le personnage le plus émouvant du livre) qui tombé amoureux (sans retour) de Corentin  ne cesse de penser à lui. Confidences pour confidences il lui racontera sa rupture. Suivra Bénerville-sur-mer  Mer, à côté de Deauville, et l’émotion suscitée par sa rencontre avec la belle Ellen, qui d’origine anglaise lui fait comprendre qu’elle est célibataire. Préfailles, enfin, en Bretagne, là où se trouve la maison familiale de son enfance qu’il envisage de vendre avant que ne surgisse du passé Élisabeth, dont il fut enfant fou amoureux.

La séduction de l’eau

Toutes les rencontres qu’il fait au fil de l’eau, et du sable vont remettre Raphaël en mouvement. Artiste dans l’âme qui note des citations dans son portable, Raphaël est une sorte de double d’Arnaud Cathrine. Non dans ce qu’il a vécu mais dans sa manière particulière de ressentir dans sa chair la séduction de l’eau. Sur la plage il n’est plus un animal social corseté, et il voit comme lui les gens s’abandonner. A l’inverse de Paul Morand qui dans « Bains de mer » ouvrage paru dans les années 1960 qu’il cite en filigrane fustigeait les générations nouvelles « avides de soleil à tout prix », «ces poux de sable » et leurs « effroyables embrasements » ces « volontaires incinérations » Raphaël n’enrage pas que la côte soit de plus en plus «gluante de familles agglomérées».  Contrairement à Marguerite Duras citée page 67 qui déclara: « L’été, ça m’ennuie beaucoup. Les vacances des gens, ça m’ennuie beaucoup », Arnaud Cathrine affirme : « Je suis amoureux des vacances des gens. » Et des gens tout court pourrait-on ajouter, tant cet écrivain de la compassion pour autrui ne cesse dans chacun de ses livres -on songe aux magnifiques « Romance », « Les nouvelles vagues », « A la place du cœur », à l’écriture d’une grâce infinie- de déclarer sa flamme à ses semblables.

« L’art est la preuve que la vie ne suffit pas »

Sensuelle, et très cinématographique, faisant surgir dans l’âme du lecteur des images bigarrées  à chacun des chapitres sertis comme des diamants, l’écriture d’Arnaud Cathrine tout au long de ce « Roman de plages » enlace comme un bain de mer. Aimant citer cette phrase de Pavese : «L’art est la preuve que la vie ne suffit pas », cet écrivain du vrai, du beau et du bien, qui scrute la souffrance des gens, leurs joies aussi, leurs rêves fous à l’aune du désarroi de Raphaël offre un livre solaire, joyeux et grave. L’abandon, le départ, la fuite, déjà abordés dans « Exercices de deuil » qui mettaient en scène deux hommes Kaspar et Andrew, deux silhouettes saisies en miroir d’abord à Berlin puis à Philadelphie, sont le creuset fictionnel de ce roman où comme Chantal Thomas notant dans son journal : « Je nage dans la voie du détachement » Raphaël qui aime se projeter dans la vie des autres, s’allège et se reconstruit. On y évoque aussi bon nombre d’écrivains (Maupassant, Byron, Poe, Anne Dufourmantelle qui y a laissé la vie) qui ont tenté de sauver quelqu’un de la noyade.

Recopier des phrases

La beauté peut-elle réparer ? s’interrogent conjointement Raphaël et Arnaud. Se nourrissant des livres qui aident à vivre, Arnaud Cathrine fait dire à son narrateur : « Recopier des phrases : c’est le moyen compulsif que j’ai trouvé, il y a longtemps déjà, pour atténuer la sensation déplaisante de toujours perdre des livres. Ces mots qui m’ont renversé, relevé et, pour certains, sauvé : ils s’effacent, il n’en reste qu’une trace dont je ne supporte pas qu’elle soit si ténue. Où vont les innombrables beautés avec lesquelles je voudrais vivre à tout moment et que j’ai su retenir ? Tourner la dernière page d’un livre, c’est déplorer dans le même mouvement tout ce qui va m’échapper tandis que je voudrais en être fort. » Les livres certes ne consolent pas mais sauvent car la beauté sauve et la beauté des rivages a sauvé Raphaël. C’est un peu la leçon de vie de ce livre exemplaire de pudeur et d’intelligence dont on se surprend à ralentir la lecture, et qui laisse en nous des traces profondes.

L’importance de la musique

Ajoutons combien la musique tient une place importante dans la vie d’Arnaud Cathrine. Il cite dans « Roman de plages » le « Salve Regina » de Pergolese, « Emmenez-moi »  de Charles Aznavour, « Syracuse » de Bernard Dimey chanté par Henri Salvador, et lors de son intervention lors du Festival « Oh, les beaux jours ! » il fut accompagné dans sa lecture d’extraits de l’ouvrage par le phénoménal guitariste Benjamin Siksou qui présentait quelques- uns de ses propres titres. Ajoutons enfin que Arnaud Cathrine a conçu avec Clémentine Deroudille un spectacle intitulé « Barbara (par Barbara) »  à voir du 7 au 23 novembre prochain au Théâtre du Rond-Point à Paris où au fil d’un monologue mêlant interviews et lettres inédites de Barbara, l’actrice Marie-Sophie Ferdane accompagnée par le musicien Olivier Marguerit livre un portrait touchant de « la longue dame brune ». Quand on vous dit qu’Arnaud Cathrine a tous les talents….

Jean-Rémi BARLAND

« Roman de plages » par Arnaud Cathrine. Flammarion  – 253 pages – 21 €

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