Voilà quelques années, au théâtre du Jeu de Paume d’Aix, Isabelle Carré était poignante dans « Une femme à Berlin » pièce tirée d’un texte anonyme. Débutait alors à ses côtés, Swann Arlaud, (excusez du peu), mis en scène par sa mère Tatiana Vialle qui est aussi une directrice de casting qui compte dans le cinéma français. Celle-ci permettait à Isabelle Carré d’incarner plus que de jouer une femme blessée victime de la violence de l’Histoire. Depuis la comédienne brûle les planches et de José Garcia à Bernard Campan avec qui elle a souvent partagé l’affiche, ils sont unanimes à louer son professionnalisme et sa bonté d’âme.

Avec « Un pas de côté » donné en ce moment au Théâtre de La Renaissance à Paris, ce dernier, ami d’Isabelle dans la vie, sont étonnants de justesse dans cette première pièce qu’a signée Anne Giafferi, la créatrice de la série télé « Fais pas ci, fais pas ça ». Si l’on devait résumer d’une chanson cette comédie romantique ce serait « Joyeux Noël » de Barbara où un homme et une femme se rencontrent près du Pont de l’Alma vivent un moment d’intense émotion et s’en rejoignent fêter noël chez eux, dans leur foyer.
Nous sommes dans « Un pas de côté » aux premiers jours du printemps, Catherine et Vincent font connaissance en déjeunant sur le même banc public. Tous les deux sont mariés mais ils prennent l’habitude de s’y retrouver, de parler, de rire, de se confier l’un à l’autre. Pour ces deux quinquagénaires, ces rencontres sont une bouffée de fraîcheur et de charme. Mais jusqu’à quand le charme va-t-il opérer ? Et quand on est bien installé dans sa vie, jusqu’où est-on capable de s’aventurer ? Ce banc sera-t-il un tournant ou une simple parenthèse ?
Avec une fin ouverte, où le spectateur s’imaginera ce qu’il veut quant à leur destin commun ou solitaire, le texte d’Anne Giafferi, tout en finesse, parle de renaissance à soi-même, de la nécessité de ne pas abdiquer ses rêves, et surtout ne juge aucun des personnages. On retiendra la présence de Marianne qui partage la vie de Vincent, et de Stéphane, le conjoint de Catherine, qu’on ne peut apparenter l’une comme l’autre à un faire-valoir. Ce qu’il adviendra de leur futur n’a d’ailleurs que peu d’importance au final. Ce qui est important c’est ce qu’ils ont vécu sur ce banc comme le chanterait Brassens. Avec des changements de décors qui passent pratiquement inaperçus, et la toile de fond qui nous propose des paysages qui changent de couleur en fonction des saisons, notamment avec l’automne dans les tons bruns, nostalgiques ce spectacle est très beau visuellement.
La précision de la mise en scène, l’intrusion ô combien touchante et délirante d’une passante s’immisçant avec une histoire de foulard, dans le monde nouveau de ces deux quinquagénaires émeuvent, autant qu’elles amusent. Et puis on entend à la fin bonheur absolu, Françoise Hardy interpréter Le dernier bonheur du jour un de ses grands titres. Isabelle Carré et Bernard Campan, impayable quand voulant faire “djeun“, il arrive dans un jean super étroit, en prenant la pose devant son épouse qui lui fait remarquer qu’il est boudiné à souhait dans cet accoutrement ! (Son jean est tellement serré qu’il a grand mal à l’enlever)… demeurent aussi lumineux que d’habitude. Unanimement applaudis au théâtre dans « La dégustation » et qui tirent les larmes dans le film « Jean Valjean » dont on a vanté ici la puissance esthétique.
« Les rêveurs », un film qu’Isabelle Carré a tiré d’un de ses romans
Adapté de sa propre histoire où elle évoque entre autres son internement en psychiatrie, à l’âge de quatorze ans, le film d’Isabelle Carré « Les rêveurs » laisse sur le spectateur des traces profondes. On y suit le parcours d’Élisabeth, comédienne, et femme bienveillante, qui anime des ateliers d’écriture à l’hôpital Necker auprès d’adolescents en grande détresse psychologique. À leur contact, Isabelle Carré joue son propre rôle, les souvenirs refont surface, avec la découverte du théâtre qui un jour l’a sauvée, (notamment quand elle foula les planches du Théâtre de l’Atelier, ou qu’elle s’investit pleinement dans « La mouette » au Théâtre de La Renaissance, là même où elle joue en ce moment « Un pas de côté .»)
Pas de pathos, pas d’effets faciles, mais une réalisation précise, une reconstitution fidèle des années 1980 qui ne sombre pas dans l’accessoire, et une empathie profonde pour ces sortes d’Olvidados (non criminels) comme les appellerait Bunuel. Pour incarner Elisabeth adolescente Isabelle Carré a choisi de donner le rôle à Tessa Dumont Janod. Dotée d’un talent aussi explosif que son tempérament de feu gageons que cette jeune comédienne va faire parler d’elle dans les années futures. La distribution est d’ailleurs à la hauteur du projet. Outre Bernard Campan, magnifique en thérapeute qui a tout compris quant à la manière de prendre en charge des adolescents en souffrance, ce qui est d’ailleurs un des sujets fondamentaux du film, on trouve essentiellement Vincent Dedienne et Alex Lutz, dans des personnages plus vrais que nature.
Pour l’anecdote, et elle est d’importance, notons qu’Isabelle Carré et Alex Lutz partagent une passion commune pour la chanson d’Anne Sylvestre « Les gens qui doutent » que l’on entend dans le film « Les chaises musicales » dans lequel joue Isabelle, et qui est interprétée par Jean-Baptiste Le Vaillant. Un chef d’oeuvre qui ouvre également le deuxième spectacle d’Alex Lutz (avec cheval) mis en scène par Tom Dingler. Et toujours pour l’anecdote pas anecdotique puisque le hall de la chanson de Paris va rendre hommage à Anne Sylvestre du 28 au 30 novembre (date anniversaire de son décès en 2020), et que Jean-Baptiste Belfond publie au Cherche midi « Anne Sylvestre, la magicienne », rappelons que Vincent Dedienne voue une admiration sans bornes à Anne dont il dit que lorsqu’il s’interroge sur une question existentielle il y a toujours une chanson d’elle pour lui répondre.
Des spectateurs bouleversés
Quant à l’impact qu’Isabelle Carré qui est venue présenter son film « Les rêveurs » à La Ciotat, il est considérable. Des jeunes en larmes, dont certains se sont reconnus dans ses personnages d’adolescents abîmés, l’évocation des passerelles entre littérature et cinéma qu’offre son livre « Les rêveurs » adapté à l’écran, des parents sans voix, Isabelle Carré touche fort et vrai. Et on sait qu’avec cette artiste de la scène à l’écran, le talent frappe toujours au moins deux fois.
Jean-Rémi BARLAND
« Un pas de côté » d’Anne Giafferi texte publié à L’avant-scène, à voir au Théâtre de La Renaissance 20 boulevard Saint-Martin Paris 10e – du Jeudi au dimanche à 19h. Représentation supplémentaire le dimanche à 17h. Réservations et renseignements au 01 42 08 18 50.
« Les rêveurs », film d’Isabelle Carré actuellement sur les écrans.




