Daniel Cohn-Bendit, qui se qualifie de libéral-libertaire, vient d’être reçu par le think tank «l’Ecologie des solutions» initié par Christophe Madrolle et Fabien Perez à l’occasion de la parution de son livre « souvenirs d’un apatride » paru aux Éditions Mialet-Barrault.

« J’ai écrit ce livre parce qu’à 80 piges j’ai eu l’injonction intérieure de récapituler ma vie », explique Daniel Cohn-Bendit, besoin d’autant plus fort qu’il se conjugue « avec une réflexion sur mon identité juive». « Il y a trente ans, poursuit-il, je n’aurais jamais dit que j’étais Juif mais j’ai écrit : “Nous sommes tous des Juifs allemands. Et je suis asioniste. C’est-à-dire que je comprends que des Juifs, en 45-46 disent : “On va créer notre Etat car nous sommes les seuls à pouvoir nous défendre.» Et puis il y a eu le 7 octobre : «Quelque chose d’inconcevable et je n’ai réagi qu’en Juif», indique-t-il, dénonçant l’horreur de l’acte commis par le Hamas « et la responsabilité du gouvernement Netanyahou qui a été incapable de protéger les Juifs dans un Etat créé à cet effet. C’est sa responsabilité. Puis il y a une solitude des Juifs. Au lendemain du 7 octobre les gens disaient oui mais et c’est insupportable. On a tué, lors d’une fête des jeunes qui étaient en lien avec la population de Gaza et on ose sous-entendre qu’ils l’ont bien cherché. Je le redis c’est insupportable. Les Juifs sont 16 millions et se serait toujours un peuple en trop. » Il précise immédiatement : «Et puis il y a la réponse de Netanyahou et de son gouvernement qui intègre des fascistes, et la réponse de ce gouvernement est intolérable. Alors je suis un Juif qui tourne en rond. » Et il insiste: « Je ne veux pas réduire mon identité à ma dimension juive. » Et il invite à un voyage dans la politique européenne, française, franco-allemande…
«Enfant de la liberté »
Daniel Cohn-Bendit raconte: «Mes parents ont donné la nationalité française à mon frère, né en 1936 mais pas à moi, né en 1945. Je suis enfant de la liberté puisque je nais dix mois après le débarquement en Normandie. Et mes parents n’ont pas eu la même démarche pour moi que pour mon frère car ils pensaient quitter la France. » Il est ainsi apatride ce qui permettra à la France de l’expulser après mai 68. Il deviendra français en 2015.
« Fin mai 68, poursuit-il, je comprends que je ne suis pas ce que l’injonction voudrait que je sois. Je ne suis pas un leader révolutionnaire, je suis moi et mon expulsion de France m’a sauvé. Expulsé pendant 10 ans m’a permis de reconstruire mes racines.» Il souligne l’importance dans cette reconstruction, sur un plan personnel, d’être tombé amoureux mais aussi la découverte de communautés : « On voulait créer une vie alternative. On peut dire que nous exagérions, sans doute, mais nous avons fait évoluer l’Allemagne ». Il a la nationalité allemande car les enfants des familles qui ont subi le nazisme ne sont pas obligés de faire le service militaire. «Je suis le seul Allemand qui le suis devenu pour ne pas faire le service», dit-il en souriant. Mais arrive la guerre en Bosnie. « Il y a eu un affrontement en Allemagne entre ceux qui étaient pour le plus jamais ça et qui ne voulaient pas que l’Allemagne interviennent et ceux pour qui il fallait défendre les musulmans bosniaques. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé avec quelques généraux à défendre l’intervention en Bosnie.» Il considère : « c’est exactement la même question qui se pose aujourd’hui avec l’Ukraine. Ou on la soutient ou on laisse ce peuple entre les mains de Poutine et il va se faire martyriser par un régime totalitaire.»
« Je suis comme Sisyphe, je remonte en permanence la pierre européenne »
De revenir sur son parcours en Allemagne : « Je m’engage pour les municipales à Francfort où nous créons un bureau des affaires multiculturelles car l’immigration n’est facile ni pour ceux qui arrivent ni pour ceux qui accueillent. Alors j’organise un débat avec, à mes côtés un homme de droite et le chef de la police. Les personnes présentes expriment leurs peurs. Nous répondons, expliquons et les peurs se calment. Il faut bien mesurer que, dans ce type de dossier il faut faire de la politique et pas de l’injonction. Il ne faut pas, non plus, suivre la population mais trouver un espace pour avancer. »
En 1994, Daniel Cohn-Bendit entre au parlement européen. Il lance : « Je suis comme Sisyphe, je remonte en permanence la pierre européenne ». Il considère à ce propos qu’il faut réhabiliter Albert Camus, l’auteur du mythe de Sisyphe « dans chacun de ses débats avec Sartre c’est lui qui avait raison». De revenir à l’Europe : «Elle seule à la masse critique pour répondre aux enjeux et l’Ode à la joie incarne ou bien plus l’idéal républicain de La Marseillaise ».
Me Fabien Perez réagit : « 8 personnes sur 10 ont un avis positif sur l’Europe mais, dans le même temps, 25% des Européens ont voté pour des partis anti-européens.» Daniel Cohn-Bendit rassure : «Toute les droites souverainistes ont mis de côté la sortie de l’Europe et de l’Euro. Et donc, sur ce point nous avons gagné, l’Europe est là et le restera. » Cela est d’autant plus important que «l’on voit bien que des sociétés peuvent être suicidaires, on le voit avec les Etats-Unis ». En direction de la France, il signifie : « Il y a Trump, la Chine, la Russie… Vous croyez que le problème c’est de partir à la retraite à 62 ou 64 ans. Je ne dis pas qu’il ne doit pas y avoir un débat sur ce dossier mais nous ne sommes pas à la hauteur de la situation.»
« On ne rattrape le temps que si on rattrape les citoyens »
A propos des Écologistes, il avance : «Ils doivent comprendre que dire qu’il est très tard pour réagir ne sert à rien. Oui, on a perdu du temps, mais il faut prendre le temps d’expliquer. On ne rattrape le temps que si on rattrape les citoyens.»
En ce qui concerne le vote du budget, il considère : « Ils sont tous malades en France. Ils oublient tous qu’ils n’ont pas la majorité et que le problème n’est pas d’avoir raison mais d’avoir les arguments pour convaincre une majorité. Cette incapacité à passer des compromis est un drame en France.» Il dresse alors un portrait d’Emmanuel Macron : « Je l’ai soutenu, j’ai mesuré à quel point il est un Don Juan quand il vous trouve fascinant et puis, lorsque vous l’ennuyez il vous abandonne. Concernant les retraites j’ai essayé de lui dire qu’il devait négocier avec la CFDT mais il n’a pas voulu et j’ai compris qu’il était un technocrate froid. » C’est là qu’il y a eu une rupture entre les deux hommes qui, depuis, ont renoué des liens avec le conflit entre Israël et le Hamas.
Interrogé sur Europe Écologie et les Verts il avoue : « Je ne comprends pas ce qui se passe chez les Verts. Rester collé à Mélenchon, à LFI, ce n’est pas construire la majorité de gauche. Ils doivent bien comprendre qu’en cas de second tour Mélenchon-Le Pen, Marine Le Pen obtiendra 70% des voix. De plus Marie Tondelier n’a pas défendu Glucksmann lorsqu’il a été victime d’attaques racistes et antisémites. » Une autre personne lui demande pourquoi il n’a pas été ministre. Il explique : « Lorsque Macron m’a proposé de succéder à Hulot j’ai refusé en expliquant que lorsqu’il y aurait une mesure avec laquelle je serais en désaccord soit je le disais et je devais quitter le gouvernement soit je ne le disais pas et on aurait considéré que j’étais comme les autres.»
« Un emprunt européen »
Stéphanie se demande comment financer l’armement de l’Europe sans oublier la solidarité avec le Sud et alors que « la liste des priorités est longue et coûteuse ». Une piste existe pour Daniel Cohn-Bendit : « Un emprunt européen, l’Europe étant le seul espace politique non endetté. C’est une réponse possible à condition qu’il y ait responsabilisation des États. Et nous devons tous comprendre que l’Europe est engagée dans un contre-la-montre en matière de souveraineté technologique.»
Dans le public, Gérard avoue rester séduit par le Don Juan pour ses positions, ses analyses, sur la situation internationale et se demande que faire face à la Hongrie de Orban : « C’est vrai que le positionnement d’Emmanuel Macron sur l’Europe, l’Ukraine et le Proche-Orient est juste. Concernant la Hongrie, on ne peut pas expulser un pays de l’Europe même s’il s’agit d’un cheval de Troie de Poutine. Face à cela il faut sans doute reprendre le débat sur la constitution européenne. »
« Giscard et Schmidt se croyaient les plus intelligents du monde »
Bernard Valero pose la question des relations franco-allemandes, se demande si elles vont se réveiller. Pour Daniel Cohn-Bendit ces relations fonctionnent « au niveau des sociétés, le problème est politique ». Et de se lancer dans une analyse : « Adenauer voulait ancrer l’Allemagne dans l’Occident, dans l’alliance transatlantique, l’Otan, et veut un lien avec la France. De Gaulle comprend lui le besoin de passer un accord avec l’Allemagne pour faire un contre-pouvoir aux Etats-Unis et ils rapprochent les deux peuples. Giscard et Schmidt se croyaient les plus intelligents du monde et n’ont pas la lucidité de faire avancer les choses. Mitterrand et Kohl ont le sens profond des meurtrissures de l’histoire. Leur main dans la main à Verdun est extraordinaire. Il se rendra en Allemagne de l’Est après la chute du mur. Il ne mesure pas la volonté de réunification. Puis il dira accepter la réunification si l’Euro se fait.» Il poursuit : « François Hollande avait le sens de la nécessité de l’Europe mais pas la force de s’engager dans un dialogue plus poussé avec l’Allemagne. Mais, quand l’Allemagne veut sortir la Grèce de l’Europe il sait dire non en indiquant que ce serait la fin du couple franco-allemand et Angela Merkel maintient la Grèce dans l’Europe.» Il ajoute, à propos de la chancelière : «Elle vient d’Allemagne de l’Est. Elle comprend la nécessité de l’Europe mais pas dans ses tripes». Il considère ensuite que les relations entre Merkel et Macron n’étaient pas bonnes, celles avec Olaf Scholz inexistantes «mais la nouvelle majorité de droite allemande est prête à soutenir l’Ukraine et donc la situation peut évoluer positivement entre la France et l’Allemagne».
Pour Daniel Cohn-Bendit : « Il faut redonner une dynamique à la démocratie. Il faut la proportionnelle qui t’impose la négociation. La France a besoin de l’Europe, le problème c’est que chaque fois que l’Europe fait quelque chose on dit que c’est la France qui le fait et il y a aussi des choses à changer dans le fonctionnement de l’Europe.»
Reportage vidéo Joël BARCY, rédaction Michel CAIRE