Marseille. Théâtre des Bernardines: Jacques Weber impressionnant dans «Ranger» de Pascal Rambert

Hong Kong. Une chambre d’hôtel ultramoderne avec grandes baies vitrées, voilages, lit king size, un coin salon avec chaise, fauteuil, téléviseur encastré dans le mur, minibar. 23 : 34 à l’horloge électronique près du lit. Une malle valise ouverte sur le lit.  Une valise sur rack fermée.

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Jacques Weber dans « Ranger » de Pascal Rambert marque les esprits. (Photo Louise Quignon).

Un homme se prénommant Jacques entre. Il met sa carte dans le boîtier de télécommande centralisée. Toute la chambre s’allume ainsi que le téléviseur. Il pose sur le lit un bouquet de fleurs, un paquet cadeau, un catalogue et une sorte de trophée. Il éteint une à une les lumières, s’assoit, sur le lit, enlève son masque chirurgical, et reste un moment  face à la neige de l’écran avec la télécommande dans la main. Il éteint ensuite la télévision, se tourne et cherche quelque chose dans la malle valise. Il en sort un cadre avec une photo, se lève, le pose sur la table, va au minibar, sort une boisson gazeuse, revient et s’assoit.  « Tu es morte, il y a un an, et je n’ai plus envie de vivre, dit-il, j’ai posé ton portrait devant moi et je te parle maintenant. Je suis bien tu vois je suis dans une chambre amusante… Tu vois je me suis habillé… tu serais contente si tu me voyais tu aimais quand j’étais habillé…»

Ainsi débute un long monologue qui est de fait une longue lettre d’amour à la femme adorée décédée dont il dit « tu es l’amour ». Il s’adresse à elle au présent, au passé, au futur immédiat, lui annonçant qu’il s’apprête à venir la rejoindre dans l’au-delà. C’est un homme usé, mais ce n’est pas la fatigue qui l’abat, c’est l’absence. Il formait avec sa femme un couple d’écrivains et si il a eu son heure de gloire, si adulé par ses lecteurs, on l’a couronné de lauriers, (il est arrivé à Hong Kong où il vient tout juste de recevoir un prix en tant qu’écrivain), il veut néanmoins en finir avec l’existence. Tout autour de lui est blanc. La scénographie immaculée épouse sa douleur, le blanc étant la la couleur du deuil en Chine.

Une pièce que Pascal Rambert a écrite pour Jacques Weber

Seul en scène Jacques Weber impressionne dans cette pièce que Pascal Rambert a écrite pour lui après les liens d’amitié complice très forts nés de leur collaboration sur « Architecture » présentée au festival d’Avignon. Comme toujours chez l’auteur, la narration, telle une poupée russe, aborde des thèmes très variés. La mort des innocents, notamment, le bruit des guerres, la répression dans la Chine maoïste, les grands espaces saccagés, autant de digressions qui, loin de ralentir le propos, lui donne un poids humain supplémentaire.

Scène bouleversante quand Jacques (personnage qui comme c’est le cas dans «Mon absente» également de Pascal Rambert porte le prénom de l’acteur qui l’interprète) enserre un ours en peluche ayant appartenu à l’épouse décédée. «Un ours non pas chargé d’enfance, mais de chagrin», dit-il. On en a la gorge serrée comme lors de ce final où, le texte de Pascal Ramber, refusant néanmoins tout pathos, accompagne dans une prose sublime la fin de Jacques en phrases finalement très poétiques chargées d’empathie.

Ici l’humour tout au long du monologue n’est pas absent. Jacques et son épouse ont beaucoup ri ensemble, beaucoup parlé, bu, dansé, écouté de la musique (on entend en fond sonore «Hier encore» la chanson d’Aznavour, et la pièce restitue ces moments en scènes très visuelles. Jacques Weber dansant même sur un air anglo-saxon. «Ranger» qui raconte comment un homme qui décide de mourir met tout en ordre dans ses affaires intimes, est bien un chant d’amour d’un homme pour sa femme, tout autant comme chaque fois chez Pascal Rambert un hymne au théâtre. Et Jacques Weber qui n’a pas vécu personnellement pareil veuvage, ne semble pas jouer, mais incarne cet homme cassé. Et il demeure répétons-le inoubliable et exceptionnel de bout en bout.

Jean-Rémi BARLAND

«Ranger» de Pascal Rambert. Texte disponible aux éditions Les Solitaires intempestifs. 87 pages, 15 € – Au Théâtre des Bernardines. 17 Boulevard Garibaldi. 13001 Marseille. Jusqu’au 24 février à 20 heures sauf le mercredi à 19 h. Relâches le dimanche et le lundi. Tarifs de 10 à 37 €. Rencontre avec Jacques Weber le mercredi 21 février à l’issue de la représentation.

Réservations et renseignements sur lestheatres.net

Samedi 24 février 18h30  au Conservatoire de Marseille.
Lecture : « Sœurs » de Pascal Rambert (extraits) avec Kenza Chaâ et Tézya  Tschaenn (élève en classe d’art dramatique) – A la guitare électrique : Kaï Dentan – Lecture dirigée par Pilar Anthony

 

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