Humour et surtout émotion sont au rendez-vous de la pièce de Stéphane Guérin «La grande musique » qui sera donnée au Toursky le 8 décembre prochain. Humour parce que les répliques qui fusent sont souvent drôles faites de bons mots dont certains empruntés à d’autres comme « Hiroshima mon amour… pourquoi pas Auschwitz mon petit chou » (rebaptisé ici « my darling » pique très acérée que l’on doit à Marguerite Yourcenar en réponse à Marguerite Duras. Émotion car c’est une plongée dans un drame familial trouvant ses origines dans un passé lié à la guerre.
Une famille dans le damier du temps
Le résumé en est simple : « Esther rencontre Pierre alors qu’elle vient de rompre son troisième mariage en s’enfuyant après le bal. Elle s’effondre une semaine après lors d’une interview télévisée durant laquelle elle présentait son dernier livre sur les bordels dans les camps de concentration. Ses jambes ne la soutiennent plus. Découvrant que ce phénomène a déjà affecté les femmes de sa famille avant elle, elle décide, avec l’aide de Pierre, d’enquêter sur ce mystère. » De fait la pièce est un voyage entre présent et passé et raconte l’histoire d’une famille sur quatre générations, à la recherche d’un secret dont seuls les corps ont gardé la mémoire. «La grande musique» est une symphonie familiale qui résonne à travers les âges, où trois générations se confrontent sans pourtant jamais se rencontrer. D’un bal de mariage à un studio de télévision, de Munich à Mauthausen, Marcel, Nelly, Georges, Esther, Pierre et Hervé vont essayer de décrypter les secrets de leur drame familial via la psychogénéalogie. Les femmes de la famille d’Esther, qui sait que son prénom signifie en hébreu « celle qui cache », sont subitement atteintes de paraplégie.
Un grand-père déporté
Grâce au fantôme de Marcel, son arrière grand-père déporté ressurgi des limbes de Mauthausen, grâce aussi au soutien de son frère à la folle lucidité, et à celui de son amoureux, désireux d’un avenir serein, Esther finira par trouver la voie de la guérison en rendant voix aux morts disparus dans les cendriers de l’histoire. Nous sommes donc entre passé et présent entre l’Autriche et la France où chaque pièce d’un même puzzle nous touche et nous bouleverse. On saute d’une époque à une autre. « Ou plutôt les temps s’entremêlent, le passé accouche du présent, tantôt sans hésiter, tantôt avec crainte, descend dans les gouffres du passé », note Gilles Costaz dans sa préface à l’édition du texte dans « L’avant-scène ». Et d’ajouter : « Stéphane Guérin, l’un des tout premiers auteurs du théâtre français moderne, fait toujours figurer, juste suggéré ou dans un relief ombreux ce qu’il appelle « le fantôme du passé ». La mort elle, était déjà présente dans « Kamikaze » sa pièce où excellait Cyril Thouvenin. Il en joue une fois encore avec une souplesse d’écriture jamais pesante. De la distribution très homogène on retiendra les prestations puissantes de Raphaëline Goupilleau exceptionnelle dans le rôle de la mère, de Pierre Hélie, explosif et touchant dans le rôle d’Hervé, le fils qui peine à trouver son identité, et Brice Hillairet, inoubliable dans la peau de Marcel. Tous dirigés, (accompagnés devrait-on dire) par la mise en scène de Salomé Villers qui ne surligne jamais les choses mais les éclaire de l’intérieur. Le résultat en est saisissant.
Jean-Rémi BARLAND
«La grande musique» répond à la question de savoir si le corps possède une mémoire dont on n’a pas toujours conscience. Texte disponible à l’Avant-scène Théâtre. Collection « Quatre-Vents » 95 pages, 12 €.
Au Théâtre Toursky 16, passage Léo Ferré, 13003 Marseille. le 8 décembre 2023 à 20h30. Réservations au 04 91 02 54 54. Ou billeterie en ligne billeterie.toursky.fr. par mail billeterie@toursky.fr Ou au guichet du lundi au samedi de 13h à 18h.
