Paris. Studio Hébertot.  « Les Tournesols » de Fabrice Melquiot : un drame familial bouleversant

« Les familles heureuses se ressemblent toutes. Les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon », écrivait Tolstoï en ouverture de «Anna Karénine». Cette pensée pourrait être appliquée à certaines grandes pièces de Fabrice Melquiot telles que « Marcia Hesse », (chef-d’oeuvre qui vit (presque) débuter au théâtre Louis Arene) ou « Les Tournesols » que l’on peut voir en ce moment à Paris au Studio Hébertot portée par la Compagnie Zerafa dans une mise en scène de Sophie Sara.

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« Les Tournesols » pièce de Fabrice Melquiot donnée par la compagnie Zerafa. (Photo Zerafa)

Terrible chant funèbre pour cœurs brisés, dialogues douloureux de prisonnières de toutes les couleurs de l’ennui dans un camaïeu d’ombre à lumière, affrontement nourri d’amour brisé d’une mère et de ses trois filles vivant recluses dans la maison familiale. Ce drame est une immersion poétique dans le quotidien corrosif de quatre visages féminins asphyxiés par la nature de leurs relations, saisis dans un conflit entre peur et désir de vivre.  A l’image des quatre tournesols dans un cimetière qui regardent le soleil, chacune des protagonistes espère, à sa manière pouvoir un jour le rejoindre.

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Une des 3 sœurs Blue (Ellynn Dufraise) peint et se dit voyante (Photo Zerafa)

Il y a Violet, interprétée par Véronique Varin, la mère femme de 60 ans, qui boit par dépit et qui espère que les pères successifs de ses enfants payeront enfin régulièrement leurs pensions alimentaires. Il y a les trois sœurs Black 30 ans (Caroline Frick-Scholz) qui écrit des chansons, et qui broie du noir, confiant ses tourments à un psy canadien. Brown (Juliette Abrial 25 ans, qui collectionne les insectes, et qui a congédié son mec Josh qui l’a frappée lui a arraché ses vêtements et essayé de la violer. Blue enfin (Ellynn Dufraise) qui peint et qui se dit voyante. «Nous sommes dépressives, c’est un fait avéré, nous sommes les plus dépressives des femmes européennes. Essayons de nous vouloir autrement, merde. Essayons de rejoindre la part inconnue de l’aventure humaine. On n’ose plus. Exerçons quotidiennement notre intransigeance», dit la mère au bord du gouffre avant d’ajouter plus tard : « Les seules choses de la vie sont celles qui nous tueront. »

« Un écho contemporain aux femmes de Lorca »

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Saignements de corps, tremblements de cœurs, ici tout est combat pour la dignité humaine, pour que des épousailles avec l’harmonie puissent enfin existées. Fabrice Melquiot définit sa pièce comme « un écho contemporain aux femmes de Lorca, hantées par le dehors, mais recluses,  s’aimant, se haïssant, à se tuer. » Et d’éclairer d’une prose très elliptique le parcours de « ces femmes d’intérieur, qui, au cœur du monde semblent faire figuration mais qui savent lire le présent avec l’acuité des rapaces qui attendent. » Elliptique la mise en scène de Sophie Sara qui ne l’est quant à elle absolument pas. Par trop illustrative elle surligne par moment de manière trop appuyée, les différents moments du drame qui se joue devant nous. Notamment lors de la scène du bain où la bande son fait entendre inutilement le bruit de l’eau. En dépit de cela le travail de Sophie Sara impose le respect, tant il est fidèle au texte, et donne à entendre les paroles prononcées par des comédiennes au diapason laissant respirer les silences. En dépit de quelques défauts donc voilà un spectacle bouleversant autant sur le fond que dans sa forme généreusement théâtrale.

Jean-Rémi BARLAND

 « Les tournesols » au Studio Hébertot –  78 bis, boulevard des Batignoles, 75017 Paris. Les lundis et mercredis à 21h jusqu’au 29 mai 2024. Réservations au 01 42 93 13 04 ou sur studiohebertot.com 

« Les Tournesols » par Fabrice Melquiot -Éditions de l’Arche-68 pages-12 €.

 

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