Paris. Théâtre du Rond-Point. Une histoire des Atrides de Sivadier en version Monty Python. Gigantesque ! 

« On entend rien… Commencez le spectacle au lieu de parler. On est déjà en retard », lancent quelques spectateurs furieux au jeune homme présent sur scène, venu une pomme à la main rappeler les consignes de base pour apprécier le spectacle à venir : téléphone éteint, photos interdites, et toutes les précautions d’usage. Oui mais voilà…Celui que certains ont pris pour un ouvreur n’est autre que Sébastien Lefebvre, un comédien de la troupe de Jean-Christophe Sivadier et de fait la représentation de « Portrait de famille » a  déjà commencé. Le voilà qui expose les faits, donne les grandes lignes de l’intrigue et déclenche l’hilarité.  Le ton est donné. Et durant près de quatre heures ça va décoiffer sévère, car rien ici ne sera conventionnel, et dans cette farce burlesque à situer pour la forme du côté des Monthy Python on passera du rire aux larmes.

Destimed Portrait de famille ©Christophe Raynaud de Lage
Portrait de Famille © Christophe Raynaud de Lage

« Un matériau taillé sur mesure pour une équipe de quatorze jeunes acteurs et actrices »

 Si on connaît dans sa version classique l’histoire des Atrides, -dont le destin pourrait parfaitement illustrer la première phrase d’Anna Karénine de Tolstoï : «Les familles heureuses se ressemblent toutes, les familles malheureuses sont malheureuses chacune à leur façon »- la pièce de Sivadier en surprendra plus d’un. Grande fresque théâtrale  Portrait de famille écrite par Sivadier revisite avec ludisme l’histoire épique et tragi-comique des Atrides. Et l’auteur de préciser ses intentions de travail avec un sens inné de la geste romanesque. « “Portrait de famille” raconte une histoire des Atrides. Une histoire c’est-à-dire notre version. Celle que nous réinventons aujourd’hui, comme une suite de variations inspirées des textes d’Euripide, d’Eschyle, de Sophocle, de Racine, de Sénèque… La matière considérable et proprement délirante qu’offre la mythologie grecque est l’occasion d’un théâtre à géométrie variable, où, dans l’éternel affrontement des hommes et des Dieux, se confondent le fantastique, le politique, l’intime et l’universel, le plausible et l’invraisemblable… Portrait de famille se propose de traverser l’histoire épique et tragicomique d’une famille d’enfer, celle des Atrides, qui pour laver son linge sale, ne fait jamais dans le détail : “Œil pour œil. Sang pour sang”. Entre les crimes passés et les crimes à venir, dans un monde dominé par un Olympe surpeuplé de divinités, toujours prêtes à exiger un sacrifice pour relancer la machine, chaque protagoniste s’avance sur scène dans l’angoisse d’être le prochain sur la liste. Les Atrides se mènent une guerre interminable, dont chaque combattant ne cesse de redéfinir l’origine, en déclinant, jusqu’à l’absurde, le syndrome du “c’est pas moi qui ai commencé”. Sacrifices humains, infanticides, viols, incestes, trahisons, cannibalisme, tous les coups sont permis. “Portrait de famille” est un matériau taillé sur mesure pour une équipe de quatorze jeunes acteurs et actrices, un chantier chaotique qui revisite avec ludisme, un catalogue de contes pour adultes qui n’en finit pas de s’écrire, comme un tableau éternellement recommencé et à jamais inachevé.»

Un hymne au théâtre

Destimed portrait de famille photo Christophe Raynaud De Lage
Portrait de Famille © Christophe Raynaud de Lage

Incestes, meurtres, haine, vengeance, sont au menu sanguinaire dans un enchevêtrement de délires verbaux, les innombrables codes de la tragédie sont tous là, que Sivadier s’amuse à détourner pour en livrer  une version pop-rock des plus savoureuses. Incursion dans le kitsch et le registre potache, tous les interprètes qui jouent en esprit de troupe sont au sommet de leur art. On retiendra particulièrement les performances d’Aristote Luyindula qui joue Agammnon, de Marine Gramond qui incarne Clytemnestre son épouse, (ses deux longs monologues sont des moments d’anthologie absolument délirants) de Rodolphe Fichera en poète maudit très chateaubrianesque, de Arthur Louis-Calixte dans la peau à la fois de Atrée, et du très inattendu Homère, sorte ici de reporter de guerre pour un grand magazine d’informations. Mohamed Guerbi en général grec secoue les lignes, et Olek Guillaume en Achille un tantinet à côté de ses pompes, demeurent savoureux. On pourrait tous les citer tant ils sont excellentissimes, inoubliables et pantagruélique dans leur jeu. Avec un final de haute volée délirante, un décor où le noir du sol évoque la boue des combats, la mise en scène de Sivadier est inventive d’un bout à l’autre, et on ne s’ennuie pas une seconde. C’est de plus au-delà du récit des Atrides un hymne au théâtre et à ceux qui le font exister. Et le public ivre de bonheur et souvent également ému de faire une ovation à ce qui est un spectacle majeur, d’une portée artistique assez inégalable et terriblement beau à voir.

Jean-Rémi BARLAND

Portrait de famille (Une histoire des Atrides) de  Jean-François Sivadier  6Théâtre du Rond-Point. 2bis, avenue Franklin D. Roosevelt. 75008 Paris. Jusqu’au 29 juin 2025. Salle Renaud-Barrault du mardi au vendredi, 19h – samedi, 18h – dimanche, 15h Relâche : lundi 23 juin Durée 3h50 dont 20 minutes d’entracte. Plus d’infos et réservations: theatredurondpoint.fr

 

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