Tribune du Pr. Hagay Sobol. La démocratie israélienne à l’épreuve de la guerre

Les périodes de conflits armés sont en général propices à des législations d’exception. Israël a fait exactement l’inverse. Alors que le pays est attaqué sur plusieurs fronts, la Cour Suprême vient de retoquer le paquet de lois récemment voté à la Knesset (le parlement israélien) qui donnait la prééminence au pouvoir politique au détriment du judiciaire. Quoi que l’on puisse penser de la gouvernance actuelle de l’État hébreu, cet événement est la marque d’une démocratie solide caractérisée par l’indépendance de sa Justice.

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Pr. Hagay Sobol ©Destimed

 

La seule démocratie du Moyen-Orient

Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient ce qui ne l’empêche pas d’être sous le feu continu des critiques, alors que le pays est menacé de toutes parts par des dictatures et des groupes terroristes comme le Hamas, le Hezbollah ou les Houthis, proxys de la République islamique d’Iran.

État séculier régi par une législation civile, il est le pays de tous ses citoyens qui jouissent des mêmes droits, pratiquants ou laïcs, musulmans, druzes, chrétiens ou juifs (de toute origine : d’Afrique noire comme les éthiopiens, sépharades, ashkénazes, orientaux, d’Inde ou sabras les natifs du pays). Les aspects religieux sont délégués aux responsables de chaque culte.

Mais c’est également l’État Nation du peuple Juif, au sens ethnologique et non pas confessionnel du terme (tous les juifs ne sont pas religieux et dans le passé d’autres peuples pratiquaient ce culte comme les iduméens). Pour les dirigeants historiques du sionisme, la renaissance d’Israël est considérée comme la première réalisation nationale d’un peuple autochtone des temps modernes. Car si le pays a subi de nombreuses occupations, la présence juive, même en l’absence d’autonomie politique, a été continue depuis l’antiquité.

Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas le plus récent État de la région. La quasi-totalité des pays du Moyen-Orient n’existaient pas avant la chute de l’empire ottoman en 1917 et certains, comme les monarchies du Golfe n’ont obtenu leur indépendance que très récemment, dans les années 70.

Depuis son indépendance en 1948, sous l’égide de l’ONU, le pays s’est doté d’une Loi Fondamentale qui fait office de Constitution. Et c’est un des problèmes majeurs car ce socle, s’il est légitime, ne dispose pas de la même stabilité que celle conférée par une Constitution en bonne et due forme. Il faut signaler que d’autres démocraties fonctionnent selon ce modèle, notamment la Grande Bretagne ou le Canada. La situation géopolitique instable a conduit à repousser cet objectif pourtant prioritaire depuis sa création. Un autre écueil étant les modalités du système électorale à la proportionnelle intégrale qui donne aux petits partis un poids démesuré par rapport à leur représentativité réelle, car sans eux point de coalition. Il faut citer également, l’absence de limitation du nombre de mandats successifs qui freine le renouvellement des dirigeants.

Enfin, contrairement à la France, le système parlementaire est monocaméral, même si d’autres démocraties fonctionnent de la sorte. Si la Knesset joue le même rôle que l’Assemblée Nationale, il n’y a pas d’équivalent au Sénat. Le seul contrepouvoir est la Cour Suprême qui exerce également en qualité de Haute-Cour de Justice. Elle peut ainsi statuer en matière constitutionnelle.

La refonte judiciaire diligentée par le gouvernement

Si un système politique ne fixe pas de limites claires aux prérogatives des élus et ne préserve pas l’indépendance de la Justice, la tentation est grande d’abuser du pouvoir, même celui conféré par les urnes. L’histoire abonde d’exemples en la matière.

Le dernier scrutin a vu la réélection de Benjamin Netanyahou mais avec une courte majorité. Pour ce faire, le Likoud, l’équivalent de LR en France, a été contraint de s’allier à deux partis d’extrême droite. Le «nouveau Premier ministre», empêtré dans trois affaires judiciaires, a diligenté un projet de refonte totale du système judiciaire, non explicité dans son programme électoral. Abritant au besoin les nouvelles lois sous le sceau des Lois Fondamentales, afin de les sanctuariser, l’objectif était de se conférer une immunité en restreignant le pouvoir de la Cour Suprême. Avec pour résultante d’imposer la prédominance du politique sur le judiciaire, conduisant ainsi à l’absence de tout véritable contrepouvoir.

C’était oublier que la démocratie n’est pas un vain mot en Israël et que ses citoyens sont à la fois très concernés par la bonne marche et garants de la sécurité du pays. En l’absence d’armée de métier, les citoyens, femmes et hommes, juifs et non juifs, font deux à trois ans d’armée et par la suite des périodes de réserve. S’ils ont des préférences politiques, et qu’ils se mobilisent lors des conflits quel que soit le gouvernement, ils ne donnent pas pour autant un blanc-seing à leurs dirigeants. Cette réforme non concertée a eu pour conséquence une mobilisation populaire sans précédent pour demander son abrogation. Et plusieurs recours ont été formés auprès de la Cour Suprême.

La justice garante des institutions ne fait pas de politique

C’est ce moment de grande contestation et de division qu’ont choisi le Hamas pour perpétrer au Sud d’Israël ses horribles massacres du 7 octobre, le Hezbollah pour attaquer au Nord (depuis le Liban et la Syrie), et les Houthis pour envoyer des missiles et des drones depuis le Yémen. Mauvais calcul, le danger a uni comme un seul homme les pro et anti-réformes. Les appelés, c’est-à-dire les enfants du pays, et les réservistes de tous âges, quel que soit leur lieu de résidence ou de villégiature se sont rendus prestement sur les lignes de front.

De leur côté, les juges de la Cour Suprême ne se sont pas réfugiés derrière des arguments de façade et repoussés le jugement à plus tard, à la fin des combats. Après auditions, plaidoiries, débats, et une analyse approfondie, ils ont rendu leurs conclusions. En moins de deux semaines, trois décisions conséquentes ont été énoncées :

1) la Haute-Cour de Justice est fondée de se saisir des Lois estampillées Fondamentales pour vérifier leur constitutionalité ;

2) la «norme d’irraisonnabilité » qui permettait de statuer sur le caractère irraisonnable d’une décision gouvernementale, supprimée lors de la réforme, a été rétablie.

3) la «loi d’incapacitation» du premier ministre, taillée sur mesure pour éviter à l’intéressé que cela se produise, a été repoussée.

Ce bras de fer, consacrant l’indépendance de la Justice, a renforcé le caractère démocratique du pays et a rappelé utilement que nul homme politique ou gouvernement ne peut décider unilatéralement de changer la nature du régime.

La guerre à Gaza à l’épreuve du Droit

Après la vive émotion suscitée par les exactions du Hamas, qualifiées de crimes contre l’humanité, la riposte de Tsahal (l’armée de défense d’Israël) a été diversement commentée, en Israël même et à l’étranger. Dans ce contexte tendu, l’Afrique du Sud, alliée traditionnel du Hamas, a déposé un recours auprès de la Cour Internationale de Justice (CIJ) de la Haye, pour « génocide contre les Palestiniens ». Cela illustre malheureusement la complexité des conflits asymétriques entre États démocratiques, soumis au droit international, et organisations terroristes qui ne respectent aucune règle, allant jusqu’à en inclure « les civils dans leur arsenal ».

Si toute vie perdue est une tragédie lorsqu’il s’agit de civils, et d’enfants en particulier, la réponse d’Israël, à ce pogrome sans précédent, était inévitable car il en va de l’existence même du pays. Elle poursuit plusieurs objectifs : ramener les otages, mettre fin aux milliers de tirs de roquettes sur les agglomérations civiles et neutraliser définitivement les groupes terroristes de l’enclave côtière qui prennent en otage la population de Gaza et juré la destruction de l’État Juif afin d’instaurer un Califat islamique.

Les institutions civiles et militaires n’ont pas attendu la saisine de la CIJ pour faire appliquer le droit, même en temps de guerre. A la suite des conclusions partiales de l’enquête sur l’opération « plomb durci » en 2009 à Gaza, puis à la rétractation en 2011 de son Président, le Juge Goldstone, l’État hébreu a mis en place une série de mesures pour être en capacité de répondre à une telle situation. Les soldats portent désormais des caméras enregistrant en temps réel les opérations qui font l’objet d’analyses systématiques afin de faire évoluer les procédures, et au besoin des commissions d’enquête sont mises en place afin de statuer sur tout abus potentiel. Des briefings contradictoires quotidiens avec des éléments de preuves sont organisés à destination de la presse internationale, les Américains, les alliés européens ou les organisations internationales. Par soucis de transparence et pour qu’une telle tragédie ne se reproduise plus, l’état-major et le renseignement plaident pour enquêter sans attendre sur les failles qui ont permis aux événements du 7 octobre d’avenir. La recherche de la vérité, n’est pas qu’un objectif moral, c’est une impérieuse nécessité.

La Justice rempart des démocraties

Il n’est pas inutile de rappeler que la Justice israélienne n’a pas hésité à poursuivre et à condamner un premier ministre, Ehud Olmer, ainsi qu’un président de l’État, Moshé Katsav. Et c’est un arabe israélien, George Kara qui présidait le tribunal ayant sanctionné ce dernier (il fut également juge à la Cour Suprême jusqu’en 2022). Peu de démocraties peuvent en dire autant.

Par un singulier coup du destin, Benjamin Netanyou, pour l’audience de la Haye, a choisi, le meilleur pour représenter Israël à la CIJ, et celui jouissant d’un prestige international incontestable. Ce n’est autre que le plus fervent opposant à la refonte judiciaire du Premier ministre, l’ancien président de la Cour Suprême, le juge Aharon Barak.

Ce qui se joue à la CIJ n’impactera pas qu’Israël. Cela concernera l’avenir des démocraties qui doivent pouvoir conserver leur capacité à lutter efficacement contre le terrorisme. Les démocraties tirent leur légitimité dans le respect de la vie et de valeurs partagées, l’exact opposé des islamistes. Il faut donc tracer des limites raisonnables mais réalistes à l’action militaire face à un ennemi implacable. Sinon c’est nous lier les mains et nous condamner tous à brève échéance.

 

Hagay Sobol, Professeur de Médecine est également spécialiste du Moyen-Orient et des questions de terrorisme. A ce titre, il a été auditionné par la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée Nationale sur les individus et les filières djihadistes. Ancien élu PS et secrétaire fédéral chargé des coopérations en Méditerranée. Président d’honneur du Centre Culturel Edmond Fleg de Marseille, il milite pour le dialogue interculturel depuis de nombreuses années à travers le collectif « Tous Enfants d’Abraham ».

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