La boîte à polars de Jean-Rémi Barland – « A retardement » de Franck Thilliez… une enquête policière sur la schizophrénie que l’on aime … à la folie

« Se plonger dans un dossier criminel, c’était remonter dans le passé et revivre l’horreur des faits. Percevoir les odeurs infectes qui flottaient dans l’atmosphère, effleurer du bout des doigts les corps meurtris, bafoués, déchirés. Les armoires du 36 débordaient d’histoires toutes plus sordides les unes que les autres. » Avec ces quelques mots, Franck Thilliez définit les contours de l’ambiance générale de son roman « A retardement » qui nous plonge dans les affres d’un cerveau criminel malade, et dans ceux qui veulent soit le soigner, soit l’enfermer afin de préserver les autres de sa dangerosité.

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Franck Thilliez (Photo Audrey Dufer)

 

Prodigieux sondeur de l’âme humaine, Franck Thilliez s’emploie ici à nous conduire au plus près de ce que vivent les hommes et les femmes atteints de schizophrénie, et décrit l’enfer qui se joue dans leur quotidien. Un quotidien qui doit supporter les voix et les hallucinations, «cette fracture de l’esprit qui les rend éminemment vulnérables.» « A retardement » qui n’est pas loin d’être son polar le plus ambitieux possède une dimension médicale et scientifique qui se double aussi d’un plan plus sociétal et très humain. Franck Thilliez qui montre sans démontrer s’abstenant de juger ses personnages pose à travers la schizophrénie la question de la responsabilité pénale, ou encore «notre capacité à accepter qu’un criminel puisse n’être qu’un homme qui a perdu le contrôle et non nécessairement un monstre».

Une enquête criminelle entre psychiatrie et introspection psychologique

Nous sommes dans l’UMD (Unité pour malades difficiles) de Chambly. La psychiatre Éléonore Hourdel accueille un nouveau patient. Délirant, sans papiers, inapte à la garde à vue, celui-ci a poussé sans raison un passager sur les rails et prétend « fuir des vers ». En Seine-Saint-Denis, à cinquante kilomètres de là, le commandant de police Franck Sharko, bien connu des lecteurs de Franck Thilliez, et son équipe découvre le corps d’un quinquagénaire sauvagement assassiné à coups de tournevis. Chez lui aucune empreinte digitale ni trace ADN, même pas les siennes. Qui sont ces deux hommes ? Leurs histoires ont-elles un lien entre elles ? Poser la question dans ce thriller à tiroirs, c’est déjà y répondre par l’affirmative. On apprendra que la victime découverte par Shrako et ses hommes n’est autre que le père d’Éléonore Hourdel et on retrouve ici pour leur quatorzième association son fétiche duo d’enquêteurs formé par Franck Sharko et sa compagne Lucie Hennebelle. Auquel s’ajoute leur collègue le lieutenant Nicolas Bellanger, papa célibataire encore durement ébranlé par la perte d’Audrey, jeune père tourmenté du petit Angel, qui va fêter ses un an.

Un homme fragile déjà croisé dans «La faille »,  Nicolas Bellanger, qui devient au fil des pages le personnage central du récit. S’étant beaucoup renseigné sur le monde de l’internement psychiatrique, ayant beaucoup lu -il le cite d’ailleurs en exergue- Michel Foucault et son « Histoire de la folie à l’âge classique » faisant de nombreuses références au « Cri » d’Edvard Munch, à « La nef des fous » de Jérôme Bosch, et à l’art brut dit «  l’art des fous » Franck Thilliez qui a visité une UMD pour écrire son roman multiplie les entrées narratives et nous secoue à chaque page. Il y aura toujours nous précise-t-il lors d’un épilogue assez inattendu «des êtres noirs échappés d’une faille qui grandissait au fur et à mesure que la société se disloquait.» Idée déjà développée dans «La faille » dont « A retardement » constitue une sorte de suite que l’on peut lire indépendamment et dans son « Norferville » qui ressort chez Pocket un thriller social déployant son intrigue dans le Grand Nord où une certaine Morgane a été sauvagement mutilée, abandonnée dans la neige non loin d’une réserve autochtone. Intelligence, complexité des personnages, intrusion dans le récit de « A retardement » de bestioles suscitant la peur comme les araignées et les serpents, voilà comme toujours chez Franck Thilliez un thriller efficace absolument  inoubliable.

Jean-Rémi BARLAND

« A retardement » par Franck Thilliez. Fleuve noir, 453 pages, 22,90 €

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