Conseil Municipal de Marseille: quand la Chambre régionale des Comptes fait monter la pression

Publié le 26 novembre 2019 à  8h41 - DerniÚre mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h26

«Je prends acte de la partie constructive et utile du travail de la Chambre rĂ©gionale des comptes. je prends acte mais en mĂȘme temps, je conteste une part importante de ces deux rapports, marquĂ©s par des manquements Ă  la dĂ©ontologie, des erreurs d’apprĂ©ciation manifestes et un manque d’Ă©quilibre et d’Ă©quitĂ© dans les jugements». Jean-Claude Gaudin vivement critiquĂ© par un rapport de la Chambre rĂ©gionale des comptes (CRC) donne, dĂšs ses premiers mots, le ton. Le propos de sa majoritĂ© sera encore plus offensif envers la Chambre. Et, Ă  la fin de l’envoi, tel un Cyrano phocĂ©en, le maire de Marseille entend toucher: «Je demanderai rectification, y compris par des voies de Droit, de tout ce qui est inexact, dĂ©formĂ©, oubliĂ© ou diffamant». Et il ne se cantonne pas Ă  son rĂŽle d’auteur, il est aussi metteur en scĂšne dans hĂ©micycle et la mise en scĂšne est signifiante.

(Photo Robert Poulain)
(Photo Robert Poulain)
AprĂšs son intervention Jean-Claude Gaudin donne, sans attendre, la parole Ă  Martine Vassal qui interviendra «comme simple Marseillaise», lançant Ă  l’opposition: «Si on me considĂšre comme l’hĂ©ritiĂšre je les vois comme des innocents aux mains sales». Ajoutant, en direction du Maire: «Pour tout ce que vous avez fait je vous rends hommage et c’est un honneur d’avoir fait partie de votre Ă©quipe» s’enfermant ainsi, encore un peu plus, dans un rĂŽle d’hĂ©ritiĂšre. Et on sait ce qu’il en est des hĂ©ritiers chez Jean-Claude Gaudin. Arrive Roland Blum pour parler chiffres et poursuivre la condamnation des magistrats de la Chambre qui, au fil de la matinĂ©e serait presque devenu celle des horreurs.

«Il est urgent de stopper la construction de logements sociaux»

C’est alors au RN StĂ©phane Ravier que Jean-Claude Gaudin confie la parole, comme pour l’installer dans le rĂŽle de premier opposant… Et l’homme a le sens du verbe, il a su se saisir de cette offrande. «Habitat indigne, ville polluĂ©e, divisĂ©e, insĂ©cure… Vous devriez demander pardon», martĂšle-t-il en direction du Maire avant de considĂ©rer: «Martine c’est Jean-Claude chaussĂ© de basket». Mais derriĂšre le poids des mots il y a toujours chez StĂ©phane Ravier le choc d’une politique: «Il est urgent de stopper la construction de logements sociaux» avec une justification toute trouvĂ©e, l’urgence de rĂ©habiliter l’habitat indigne, dangereux. Une plĂ©niĂšre qui devrait, un peu plus, lui permettre d’ĂȘtre en tĂȘte dans tous les secteurs de Marseille au soir du premier tour. Dans ce jeu de rĂŽle, Bruno Gilles adversaire Ă  Droite de Martine Vassal a fait le choix du silence, silence quelque peu brouillĂ© par l’intervention Ă  charge contre la Chambre rĂ©gionale des comptes de son proche Robert Assante.

«Nous voyons bien qu’au mĂ©pris vous avez ajoutĂ© le dĂ©ni»

A gauche, c’est BenoĂźt Payan qui le premier se voit donner la parole, s’adressant au Maire il note: «Face Ă  ce rapport crĂ©pusculaire et dĂ©sastreux pour l’image de notre ville, nous voyons bien qu’au mĂ©pris vous avez ajoutĂ© le dĂ©ni». Il rappelle: «Des dĂ©libĂ©rations, vous nous en avez prĂ©sentĂ©es plus de 7 000, et 100 fois nous vous avons alertĂ©, 100 fois nous vous avons mĂȘme proposĂ© des solutions, et 100 fois vous les avez Ă©cartĂ©es. Aujourd’hui, ces signaux d’alarmes, ils sont Ă©crits noir sur blanc, dans le rapport de magistrats indĂ©pendants». Il Ă©grĂšne: «En 2014, sur la mutualisation des services, la dette de la Sogima et l’abandon de nos Ă©coles: qu’avez-vous fait ? En 2015, sur le scandale d’une nouvelle Mairie Ă  7 millions d’euros sur la CanebiĂšre, sur l’explosion des impĂŽts locaux et le fiasco du PPP du Stade: qu’avez-vous votĂ© ? En 2016, sur la gestion trop lourde, sur les frais de fonctionnements qui augmentent, sur le poids de la dette: qu’avez vous dit ? En 2017, sur la modernisation des relations sociales et la gestion des ressources humaines, sur la privatisation de nos Ă©coles: qu’avez vous rĂ©pondu ? En 2018, sur les scandales de l’immobilier bradĂ©, sur l’abandon de la culture, du sport et de la vie associative. Ce que vous avez fait, ce que vous avez dit, ce que vous avez votĂ©, je vais vous le dire. Vous avez balayĂ© toutes les remarques, refusĂ© toutes les propositions, fermĂ© les yeux sur tous les scandales…».

«Marc Ladreit de LacharriÚre, propriétaire de la Revue des Deux Mondes»

Jean-Marc Coppola, PCF, va au-delĂ  du rapport de la Chambre pour Ă©voquer une question inscrite au menu de la plĂ©niĂšre, celle relative au renouvellement de la dĂ©lĂ©gation de service public (DSP) de la salle de spectacle du Silo. Il interroge: «Pourriez-vous expliquez ici-mĂȘme, sur quels critĂšres a Ă©tĂ© attribuĂ© la DSP 2011-2021 Ă  la sociĂ©tĂ© « VEGA » gestionnaire de cette salle de spectacle ? Nous en sommes curieux, car en effet dans la sociĂ©tĂ© « VEGA » devenue « S-PASS », basĂ©e Ă  Levallois-Perret, sous le Holding Fimalac qui gĂšre le thĂ©Ăątre de la Chaudronnerie Ă  La Ciotat et le ZĂ©nith Omega de Toulon, nous retrouvons une personnalitĂ©, Marc Ladreit de LacharriĂšre, propriĂ©taire de la Revue des Deux Mondes qui aurait employĂ© Madame PĂ©nĂ©lope Fillon, mais qui est surtout dirigeant de l’agence de notation Fitch, agence qui a confirmĂ© la note A+ pour la gestion financiĂšre de la ville de Marseille plusieurs fois dont la derniĂšre en 2018…». Le silence s’installera… Puis, StĂ©phane Mari, La RĂ©publique en Marche, interviendra pour sa part sur la gestion des Ă©coles: «La palme d’or de l’incurie de cette municipalité». «La Chambre vous Ă©trille quant Ă  vos choix politiques: « Si l’état de dĂ©labrement de plusieurs dizaines d’écoles a fait l’objet de nombreux signalements et alertes de l’Éducation Nationale, les solutions apportĂ©es par la ville n’ont pas Ă©tĂ© Ă  la hauteur des dĂ©fis Ă  relever »».

« il est vraiment temps que cela se termine et qu’une nouvelle Ăšre s’ouvre sur Marseille»

StĂ©phane Mari s’adresse alors directement au maire : «MalgrĂ© le grand respect que je porte Ă  l’homme Jean-Claude Gaudin, malgrĂ© le grand respect que j’ai pour l’immensitĂ© de votre carriĂšre politique, au vu des rapports Ă©difiants de la Chambre rĂ©gionale des comptes et pour l’ensemble de votre Ɠuvre, je vous dis, les yeux dans les yeux, monsieur le maire il est vraiment temps que ça se termine et qu’une nouvelle Ăšre s’ouvre sur Marseille pour faire entrer notre ville dans le 21e siĂšcle». C’est aussi sur les Ă©coles que la sĂ©natrice Samia Ghali interviendra Ă©voquant le froid qui y rĂšgnent, les trous de Kalachnikov dans les fenĂȘtres jamais rĂ©parĂ©es, les rats, les plafonds qui tombent dans les classes. «Les parents ont envie de voir leurs enfants rĂ©ussir, vous ne leur donnez pas cette possibilité». Elle en vient aux piscines: «75% des enfants qui entrent au collĂšge ne savent pas nager. La situation est telle que le lycĂ©e professionnel de l’Estaque a du demander une dĂ©rogation pour que ses lycĂ©ens ne passent pas l’Ă©preuve de natation».

«Marseille est un chef d’Ɠuvre mais un chef d’Ɠuvre en pĂ©ril»

Samia Ghali juge : «Vous avez fracturĂ© la Ville et l’État a sa responsabilitĂ© car il vous a laissĂ© faire. Et nous en arrivons Ă  ce rapport accablant. Marseille est un chef-d’Ɠuvre mais un chef-d’Ɠuvre en pĂ©ril». Marie-Arlette Carlotti, PS, dĂ©noncera pour sa part, en matiĂšre de logement, de construction: «le systĂšme des copains et des coquins». Autre temps fort, l’intervention du socialiste Patrick Mennucci annonçant sa retraite politique et qui interviendra avec gravitĂ©: «Vous m’avez menti en 2014 aprĂšs ma dĂ©faite. Je vous avez demandĂ© de vous sĂ©parer d’un fonctionnaire qui s’Ă©tait permis un tweet sur mon Ă©pouse alors qu’elle Ă©tait en soins Ă  l’IPC. Vous vous y Ă©tiez engagĂ© je dĂ©couvre qu’il est toujours lĂ . J’attendais un geste, vous ne l’avez pas fait, j’en suis meurtri». Il se tourne vers Martine Vassal Ă©voquant un entretien dans LibĂ©ration: «Vous dites que j’aurais des responsabilitĂ©s dans le drame de la rue d’Aubagne. C’est inadmissible. Vous savez que les maires de secteur n’ont aucune compĂ©tence en matiĂšre immobiliĂšre. Et vous n’ignorez pas le nombre d’amendements que nous avons pu dĂ©poser en Conseil municipal et que vous avez rejetĂ©. Ensuite les arrĂȘtĂ©s concernant le 63, rue d’Aubagne ont Ă©tĂ© pris trois ans avant ma prise de fonction. En 2008 Marseille Habitat a rĂ©alisĂ© des travaux d’urgence. En 2012, la Ville est totalement propriĂ©taire de l’immeuble et, entre ces deux dates, il ne s’est rien passĂ©. Pour le 65, un arrĂȘtĂ© partiel a Ă©tĂ© pris avant que les habitants ne soient autorisĂ©s Ă  revenir».

«Vous avez la responsabilitĂ© politique d’avoir assumĂ© des choix politiques visant Ă  gentrifier le centre-ville»

Patrick Mennucci Ă©voque les articles, les rapports alarmants: «Vous n’avez rien Ă©couté». «Vous avez la responsabilitĂ© politique, lance-t-il, d’avoir assumĂ© des choix politiques visant Ă  gentrifier le centre-ville. Alors, oui, si une politique de gentrification avait rĂ©ussi cela se saurait mais vous avez essayĂ© avant d’abandonner ce projet et, avec lui, les immeubles et leur habitants». Il revient Ă  Yves Moraine, prĂ©sident du groupe LR au Conseil municipal de rĂ©pondre. Et de juger, avant tout plaidoyer: «La justice extrĂȘme et une extrĂȘme injustice et vous avez voulu ce dĂ©bat, monsieur le Maire, pour faire entendre la voix de la dĂ©fense. Ce dĂ©bat l’opposition le voulait absolument ! Mais quelle dĂ©ception, StĂ©phane Ravier et BenoĂźt Payan qui se sont contentĂ©s de rabĂącher des discours politiciens et la haine suinte des propos de Jean-Marc Coppola et de Marie-Arlette Carlotti». Il consent: «Il y avait quelque chose d’Ă©mouvant dans vos propos Patrick Mennucci.» Mais, rappelle-t-il: «Vous-mĂȘme avez publiĂ© une photo du Maire en momie». Patrick Mennucci, rĂ©torque : «C’est faux, nous n’avons jamais fait cela…».

«En dĂ©mocratie, le juge c’est le peuple et le peuple de Marseille ne s’y est pas trompé»

Yves Moraine reprend son rĂ©quisitoire: «Ces 2 rapports de la Chambre sont partiels, partiaux, pauvres en analyse et manquent Ă  la rigueur dĂ©ontologique». Puis de reprendre les points soulevĂ©s par la Chambre pour s’inscrire chaque fois en faux. La dette? «La dette sur la pĂ©riode 2014/2018 a Ă©tĂ© rĂ©duite de 191 millions d’euros, soit 10%, pendant qu’elle augmente dans d’autres grandes villes». Le loyer du Stade VĂ©lodrome? : «La Chambre recommande une part fixe du loyer Ă  hauteur de 8 millions d’euros, mais elle omet que dans la nĂ©gociation il faut ĂȘtre 2 pour trouver un accord. Elle omet qu’en pleine nĂ©gociations un rapport de la Cour des Comptes prĂ©conisait un loyer de 3,5 millions». Il profite de l’occasion pour saluer «le courage et la luciditĂ© de l’intervention de Martine Vassal ce matin». Sur les Ă©coles?: «Il est juste hallucinant de voir des magistrats fonder une analyse sur des articles de presse ! Pourquoi pas sur des post Facebook ou sur des tweets aussi ?». Concernant le coĂ»t du personnel municipal: «En somme, moins vous les payez, meilleur gestionnaire vous ĂȘtes selon la Chambre». Et de conclure: «En dĂ©mocratie, le juge c’est le peuple et le peuple de Marseille ne s’y est pas trompĂ©, M. Le Maire, en vous renouvelant sa confiance Ă  4 reprises ! Les Marseillais eux, vous ont rendu justice». Propos conclu par une standing ovation de la majoritĂ©.
Michel CAIRE

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