Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. « Géographie de l’oubli » de Raphaël Sigal, Prix Méduse 2025 

Ouvrant la rentrée littéraire le Prix Méduse met en lumière une découverte, destinée à marquer la saison d’automne. Remis pour la première fois le 27 Août 2022 à Saint-Tropez cette distinction récompense un roman, ou un récit de langue française. Il est doté de 5 000€ d’une œuvre de l’artiste Nicolas Lefebvre. Présidé par David Freche, le jury se compose de Anne Berest, Charlotte Gainsbourg, Raphaël Haroche, Marc Lambron, Simon Liberati, Thibault de Montaigu, (secrétaire général du Prix) Maria Pourchet, Vanessa Schneider, Bruno de Stabenrath, et Gaël Tchakaloff. Il sera remis le 3 septembre prochain non plus à Saint-Tropez mais à Paris et récompensera pour 2025 « Géographie de l’oubli » de Raphaël Sigal.

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Raphaël Sigal : un texte pudique, puissant et bouleversant (Photo Laetitia d’Aboville)

 

Un récit, un roman, une intime expression de soi

Difficile de définir ce texte. A la fois roman, récit, essai historique, témoignage, expression de soi, il répond à trois questions centrales : Comment écrire ce qui a été passé sous silence ? Comment raconter une mémoire qui se délite ?  Comment transmet-on les silences et l’oubli de génération en génération ? L’auteur qui est parti faire un doctorat à New York University a entrepris la rédaction de « Géographie de l’intime » il y a dix ans alors qu’il finissait une thèse consacrée à la magie dans l’œuvre d’Antonin Artaud. L’écriture y est poétique, l’empathie pour son personnage central absolue, et la pudeur du propos extrême. La facilité aurait consisté à rajouter du pathos à chaque fois qu’est évoquée la figure de cette grand-mère Alzheimer où l’on sent combien l’auteur a dû puiser dans sa propre histoire familiale pour en brosser le portrait. « Dans cette histoire, la certitude et le doute s’emmêlent constamment. L’indicatif se fissure sous les assauts répétés du conditionnel et du subjonctif », écrit Raphaël Sigal qui précise : «Je compose ce récit en errant dans un labyrinthe à plusieurs étages, en essayant de suivre les lacets d’une route qui zigzague entre surface et profondeur. En surface il y a les traces infimes que ma grand-mère m’a transmises de son histoire et que je peux indiquer, désigner, décrire de mémoire : lieux, dates et noms qui forment ensemble l’armature essentielle d’un récit scriptible. » Puis plus loin, il ajoute : «J’écris qu’elle ne se souvient pas du déchirement alors que c’est précisément là, sur cette ligne de crête, qu’elle passe les dernières années de sa vie. Là où ça n’oublie pas. » On sent l’émotion le submerger quand il dit en conclusion d’un paragraphe : « Je force l’impensable dans sa bouche pour atténuer ma tristesse. » Refusant, on l’a dit, des incursions dans l’émotion non contenue, Raphaël Sigal a choisi d’écrire la vie de sa grand-mère atteinte d’Alzheimer en se limitant uniquement à ce qu’elle lui a transmis. Et s’est donné pour règle de développer son histoire sans archive, sans faire la part du fantasme et de la réalité. De ne vérifier aucun des faits mentionnés pour ainsi remonter à la source de sa mémoire à la source même de l’oubli qui la hante nous précise-t-on. Surgit alors la douleur de la Shoah traversée par la grand-mère. C’est absolument bouleversant.

« J’ai la mémoire qui flanche… »

Convoquant à la barre de son récit la cinéaste Chantal Akerman et Georges Perec qui se sont penchés sur la question de l’Alzheimer Raphaël Sigal propose en filigrane et de manière totale en annexe du roman à la fin du livre un texte écrit par Suzanne Sigal, la grand-mère dont la mémoire a flanché, intitulé « Ma vie ». Quelques paragraphes terribles et solaires à la fois où en guise de conclusion elle écrit : « La guerre est finie. Oui peut-être mais moi je ne peux pas l’oublier. » Un verbe qui claque comme une souffrance. Pour un livre court, ramassé, exemplaire.

Jean-Rémi BARLAND

« Géographie de l’oubli » par Raphaël Sigal. Laffont – 143 pages – 17 €.

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Raphaël Sigal : un texte pudique, puissant et bouleversant (Photo Laetitia d’Aboville)

La cérémonie de remise du Prix Méduse se tiendra à Paris le mercredi 3 septembre 2025, à l’Hôtel Grand Amour, situé au 18, rue de la Fidélité -75010 Paris.

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