Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland – « Aimer » de Sarah Chiche : Une magnifique histoire d’amour sur plus de soixante ans

Sarah Chiche sera présente aux « Correspondances de Manosque» du 24 au 28 septembre avec son roman « Aimer » sélectionné pour le prix Femina et le prix Giono 2025

Destimed Destimed Sarah Chiche Photo Astrid di Crollalanza pour Julliard
Sarah Chiche signe une fresque..lumineuse et sera présente aux journées des Correspondances de Manosque du 24 au 28 septembre (Photo Astrid di Crollalanza pour Julliard)

Bouleversant ! On referme  en effet les larmes aux yeux le nouveau roman de Sarah Chiche qui justement intitulé « Aimer » demeure un des textes les plus lumineux et les plus poignants de cette rentrée littéraire. Courant sur plus de soixante ans, cette histoire d’amour entre Margaux Gennaro et Alexis Keller raconte une passion qui, à l’image de celle de Marius et Fanny, les héros de Marcel Magnol, trouvera son accomplissement bien après son début.

Tout commença d’abord par ce qui fut de justesse un drame évité. Nous sommes en Suisse en 1984. Margaux, petite fille de neuf ans, qu’on nous décrit négligée, dont « le visage rond et pâle rappelait celui des poupées de papier à découper dans les journaux pour enfants », se jette sans qu’on sache trop pourquoi dans les eaux glacées du lac Léman. Henri Keller, homme rationnel travaillant pour un gérant de l’industrie pharmaceutique, et dont la femme Elise, pharmacienne gérait une officine discrète mais florissante à Genève, plonge et sauve la fillette. Son fils Alexis qui « dès qu’il est sorti du ventre de sa mère tel un coucou de sa pendule avait été privé de tout ce qui donne le sentiment d’avoir à livrer bataille contre l’adversité », né, pour le dire autrement, avec une cuiller d’argent dans la bouche, assiste au sauvetage de celle qu’il aimé depuis le premier regard.

Dès l’ouverture de son roman, Sarah Chiche pose le cadre de son récit en donnant des indications spatio-temporelles précises et fréquentes. Ainsi les années qui défilent sont largement commentées : 1984 par exemple avec Reegan, Thatcher, Mitterrand, Bellevue, « un joyau discret situé entre Genève, le lac et la frontière française », ou encore 1987 « une année où les chaudières tombaient en panne, où les héros mouraient jeunes. Une année pleine de contradictions, avec un hiver particulièrement rude,  une année où la France se regardait dans le miroir, et voyait un pays à la fois fatigué et étrangement plein de promesses, comme un vieil homme qui rêve encore de courir un marathon.» 2010, aussi où New York bruisse d’une fièvre nouvelle.

Un amour qui grandit malgré les morsures du temps

Cet amour intact d’un jour à l’autre, qui grandit même malgré les morsures du temps, et les séparations fréquentes, l’auteure le décrit en l’inscrivant dans les aléas de la vie professionnelle d’Alexis tout d’abord. Engagé au cabinet de conseil en stratégie Wintersmith and Associates qui lui proposera pour ce faire un salaire jugé ici « indécent », il le quittera tout rongé par la culpabilité du scandale lié au Duroxil, un opioïde qui a ravagé l’Amérique. Margaux ensuite. Après une enfance dramatique elle rencontre Hagauer un sociologue qui devine en elle l’écrivaine qui s’ignore. Il sera son mentor, son exécuteur des tâches quotidiennes pour lui permettre d’écrire. Devenue célibataire, et heureuse de l’être, elle deviendra l’auteur célèbre, de romans peuplés de mystères. Car « pour un écrivain, chaque mot accordé aux vivants et un mot volé aux fantômes.»   L’écriture nous dit-on page 336 « réclame l’abolition du monde des vivants (…) elle ne connaît ni repos, ni partage. Elle colonise l’esprit comme un cancer ? Elle s’infiltre partout. »

« Le chagrin est un tyran jaloux »

On ne compte plus les passages sublimes où Sarah Chiche se fait poétesse des sentiments, et arpenteuse de ce qu’est la vie humaine. « La gloire, c’est comme un enterrement de première classe, avec des fanfares et des couronnes flamboyantes. C’est sourire aux nuées, lever son verre à sa propre magnificence tout en sachant que la seule chose qui brille vraiment, là-dedans, c’est l’absence de ce qu’on appelait autrefois le bonheur. Et le pire, c’est qu’on finit par aimer ça… », écrit-elle page 194. « Il n’est de toute façon point donné à l’homme de servir deux maîtres sans trahir l’un des deux. Le chagrin est un tyran jaloux – il exige une présence constante, une attention sans faille, une dévotion monastique. » (Page 336).

Nous suivrons le couple et leurs enfants et nous aurons les larmes aux yeux sur les pages concernant la prise de conscience par Margaux de son vieillissement et sur celles évoquant la maladie de Charcot qui frappe Henri, le père d’Alexis. De l’enfance des deux amoureux, de la Suisse de la fin du siècle dernier à la France des années 2020 en passant par les Etats-Unis où s’annonce le retour de Donald Trump « Aimer» est une fresque intime et sociale, écrite avec une humilité non feinte synonyme ici de vérité intense. Un des romans les plus émouvants de cette rentrée (répétons-le) où le dernier mot est… « lumière. ». On ne pouvait pas mieux conclure pour en définir l’esprit et la forme.

Jean-Rémi BARLAND

« Aimer » par Sarah Chiche. Julliard, 377 pages, 22,50 €

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