La chronique littéraire de Jean-Rémi Barland – « Astérix en Lusitanie » : «Saudade» quand tu nous enchantes… Absolument «excelente !» 

Écrit par Fabcaro et dessiné par Didier Convard le 41e épisode d’Astérix intitulé « Astérix en Lusitanie » nous emmène au Portugal du temps de César sur fond de Saudade, et de sauce au poisson fermenté. Attençao… desacelerar… c’est formidablix !

Destimed Asterix et obelix

Ils se nomment Epidemaïs, Boulquiès, Mavubès, et sa fille Oxala, (sorte de soeur de Falbala de « Astérix légionnaire » dont Obélix va tomber amoureux), Nouvelopus, Pluvalus, Pirespès, Nioubiznés qui en tant que responsable du Mercatus pour la Lusitanie aura l’œil rivé sur le Cac XL naissant, Gama, patronne de l’établissement «Vase clos», (le célèbre Vase Clos de Gama), Capitalrix et son épouse Gépissine, l’Égyptien Grandebraderis, Vindemès, sans oublier un jeune idéaliste emprisonné « qui croit qu’on peut faire la révoluçào avec des “Oyez”».

Ce sont les nouveaux héros de cette aventure d’Astérix qui nous transporte en Lusitanie, qui était une province romaine impériale fondée sous le principat d’Auguste. La Lusitanie couvrait en effet la plus grande partie de l’actuel Portugal au sud du Douro et une partie du León et de l’Estrémadure espagnols. Comment nos deux intrépides Gaulois, contraints de s’appeler  Tiquédéquès, et Crémépès, accompagnés du chien Idéfix, rebaptisé Idégrès, se sont retrouvés bien loin de leur petit village d’Armorique qui résiste encore et toujours à l’envahisseur ?

C’est tout l’enjeu de cette histoire haletante, en forme de thriller antique où l’on recherche un traître, alors que l’infortuné Mavubès croupit en prison, accusé à tort d’avoir voulu empoisonner César avec son Garum, une sauce à base de poissons très appréciée des Romains dont Panoramix se sert parfois en rajoutant quelques gouttes pour donner du goût à sa potion magique. Très différent dans sa structure narrative, même si les pirates feront couler leur bateau, et que les Romains se prendront d’énormes baffes, « Astérix en Lusitanie », où l’on peut lire sur la devanture de toutes les échoppes du village d’Olisipo « Faïence et morue », est un festin culinaire et d’éloges des traditions.

« Vous croyez que César il va travailler jusqu’à quatre-vingts ans lui ?

Destimed CARO fabrice 2025 copyright Francesca Mantovani
Fabcaro, scénariste virtuose (Photo Francesca Padovani Gallimard)

Irrésistible, signé Fabcaro, scénariste et auteur sous le nom de Fabrice Caro de l’hilarant « Les derniers jours de la pesanteur », « Astérix en Lusitanie » offre des clins d’œil à des situations politiques et sociales d’aujourd’hui. On y évoque le fait de devoir proposer des accroches fortes, genre slogans, pour la nouvelle agence de communicatium « Veni, vidi, vendidi » (là encore les baffes vont pleuvoir), et on y entend Capitalrix hurler : « Non parce que bonjour le laxisme de nos sénateurs sur la sécurité hein !» tandis que son interlocuteur très à droite lance : « On ouvre les frontières, résultat, on se retrouve avec des Numides qui s’infiltrent partout» . La question des retraites surgit aussi Capitalrix, décidément très en forme vociférant alors que voit le jour la menace de revenir sur l’avancée sociale que représente de ne plus travailler au-delà de soixante-quinze ans : « Vous croyez que César il va travailler jusqu’à quatre-vingts ans lui ? ». César qui, cette fois-ci, bien qu’envahisseur se montrera juste envers celui qu’on a engeôlé à tort, punissant les coupables de cette infamie.

Obélix chante : « mon coeur a du chagrin…»

Et puis, il y a la Saudade « cette sorte de mélancolie un peu fataliste », comme la définit Fabcaro, qui désigne la profonde nostalgie mêlée de mélancolie que l’on éprouve en pensant à quelqu’un ou à quelque chose que l’on ne reverra jamais, et qui s’incarne dans le Fado, un style de musique traditionnelle portugaise, souvent considérée comme la meilleure illustration de cet état d’esprit.

C’est Obélix privé de sangliers, et saturé ici de poissons, qui lui rend toute sa magie en chantant  : « Mon coeur a du chagriiiiin ! Un jour tout aura disparuuuuu. Il ne restera plus riiiien. A part la morue… » Complainte poussée en pensant à Oxala, enrichie par celle de cette combattante de la liberté entonnant alors que Obélix projette en l’air quelques légionnaires romains : « Avec le temps tout disparaîiiit, nos sourires et nos jours heureux, il ne nous reste que des regreets et des larmes au coin des yeux ». De fait c’est la Saudade teintée de fado plus encore qu’Astérix qui s’impose comme étant le personnage central de cette bande dessinée irrésistible de drôlerie et d’intelligence dessinée par Didier Convard, dont chaque planche est un tableau et un hommage aux histoires à double, voire triple tiroir.

Jean-Rémi BARLAND

«Astérix en Lusitanie » par Didier Convard et Fabcaro. Editions Albert René, 48 pages, 10,90 €.

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