L’Association marseillaise The Beit Project fête son quinzième anniversaire à l’Institut du Monde arabe à Paris. Entretien avec son directeur David Stoleru.

The Beit Project célèbre 15 ans de dialogue, d’éducation et de coexistence. Une célébration symbolique le 16 décembre 2025 à l’Institut du monde arabe, sous le haut-patronage de la Ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, marquant quinze années d’engagement pour rapprocher les cultures et les générations autour du patrimoine commun. Entretien.

Destimed PAPIER TETE
The Beit Project -ici à Marseille à la Vieille Charité en présence de David Stoleru- donne à des jeunes de 11 à 16 ans, l’opportunité de s’approprier les lieux en s’y installant, en le transformant. Le tout implique ainsi une triple rencontre avec : un lieu, avec l’histoire, et avec l’autre. ©DR

Dans quelques jours, vous allez fêter les 15 ans de la création de l’association The Beit Project dans le cadre prestigieux et symbolique de l’Institut du Monde arabe à Paris. Pourquoi ce choix de monter à la capitale pour célébrer cet anniversaire ?

L’association est née tout d’abord à Barcelone en 2010, avant de créer une antenne, qui est devenu un pilier, à Marseille. Mais le premier projet a eu lieu à Paris en novembre 2011, avec la partenariat du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme. C’est donc pour dire qu’une partie essentielle du Beit Project est lié à Paris et à ses structures culturelles. Mais le lieu de cet anniversaire est surtout à lire comme une réflexion symbolique et en même temps bien réelle sur les réalités géopolitiques actuelles.

Il y a un peu plus d’un an, nous avons eu une réunion avec la direction du département pédagogique de l’IMA, des personnes fantastiques qui avaient déjà eu connaissance du Beit Project, pour leur faire une proposition: serait il possible, en pleine crise au Proche Orient et guerre à Gaza, de faire un projet ensemble à Paris, sur le Parvis de l’IMA? Un projet qui ouvre sur d’autres possibilités, qui symbolise la recherche d’un vivre-ensemble si difficile aujourd’hui à établir et maintenir. Leur réponse fut de suite positive et le projet s’est déroulé depuis septembre dernier, en y impliquant 6 établissements scolaires parisiens très différents: collèges du centre de Paris et de quartiers plus populaires, collèges publics et religieux, toute une variété de profils qui se retrouvent pour découvrir et interpréter l’histoire de leur ville, pour comprendre l’importance du vivre-ensemble. Et c’est donc tout naturellement que c’est dans ce même lieu que nous avons proposé de célébrer les 15 ans du projet. Cette connexion entre l’Institut du monde arabe et The Beit Project: un rêve qui n’est pas une utopie mais un espoir.

15 ans de la vie d’une association est un palier très important. Vous êtes le fondateur de The Beit Project. Lorsque vous regardez le chemin parcouru, quels sont les résultats auxquels vous tenez le plus et quels sont les enseignements que vous retirez de ce long chemin parcouru ?

Pour moi le plus important a toujours été la force de la rencontre. Elle est au cœur de la démarche, et en est le ressort principal à tous les niveaux: celle des élèves qui se retrouvent en binôme avec quelqu’un d’inconnu et qui quelques minutes après partagent des dialogues édifiants, mais aussi celle avec les partenaires qui vont y participer, aux financeurs qui vont y contribuer puis avec les équipes qui vont le mettre en œuvre. Dans chacune de ces rencontres il y a une étincelle du projet que l’on peut ressentir presque physiquement. C’est donc les personnes rencontrées tout au long de ce chemin et qui ont opté pour en faire partie qui me tiennent le plus à cœur. Mais j’ai aussi appris que les personnes avec qui cela n’a pas marché, les institutions avec qui on n’a pas pu avancer ne représentaient pas des échecs mais des étapes, à saluer comme telles. Personnellement, en tant qu’architecte, c’est aussi la compréhension que l’édification d’une maison ne se fait pas seulement avec le fer et le béton mais encore plus solidement avec les relations humaines, et avec le temps.
Un anniversaire c’est bien sûr l’occasion de faire un bilan mais aussi celle de regarder l’avenir. Comment voyez-vous les années qui viennent pour The beit Project ?

Je pense que nous avons réussi, en 15 ans, à faire évoluer la vision de milliers de personnes, dont une majorité de jeunes, envers l’altérité et le vivre-ensemble. Je rêve de faire entrer cette façon d’éduquer, extrêmement efficace, au travers de la ville et son histoire dans le “mainstream” de l’éducation en France et ailleurs. Un pas important a été réalisé en France en incluant nos propositions de travail pédagogique sur le patrimoine dans les premières mesures du Plan national de lutte contre le Racisme, l’Antisémitisme et les Discriminations liées à l’Origine (PRADO, lancé en 2024). Mais il manque encore, dans d’autres pays mais aussi en France, une prise de conscience que les récits des personnes qui nous ont précédées sont là pour nous permettre d’améliorer l’avenir de nos sociétés. C’est là que nous essaierons d’essaimer.

 

Au fil de ces années, vous avez sans doute vu évoluer le regard que portent les pouvoirs publics, les mécènes, la communauté enseignante sur les activités de The Beit Project. Comment voyez-vous cette évolution et quelles leçons en tirez-vous pour l’avenir ?

Au tout début, les administrations et notamment l’éducation nationale ne savaient pas trop dans quelle case nous mettre: un projet tout à fait laïc mais avec un logo hébraïque, un travail dans le cadre de l’éducation formelle mais avec des méthodes de l’éducation active, un focus sur le patrimoine mais avec un objectif social… Il a fallu du temps pour que les différents partenaires intègrent cette complexité pour que cela ne soit pas un frein mais un atout, avoir une démarche claire sans qu’elle soit simpliste. Désormais reconnue, bien implantée et active en France, The Beit Project fait monter en puissance et en gamme ses actions et ses projets en Europe et en Méditerranée.

Pouvez-vous nous présenter cette « internationalisation » de The Beit project, notamment ses objectifs, ses projets et les pays où elle est accueillie?

The Beit Project est née avec une véritable vocation européenne et internationale, ses premiers projets s’étant déroulé à Paris, Barcelone et Rome ! Mais il est vrai qu’avec les nouvelles impulsions, notamment données grâce à de nouveaux soutiens comme celui de la Fondation Daniel & Nina Carasso ou la Caisse des dépôts, nous poussons les limites afin de développer de nouveaux projets en Méditerranée (Maroc) et dans les Balkans (Albanie, Serbie, Bulgarie). Tout cela car ce qui se joue aujourd’hui en Méditerranée et en Europe orientale est essentiel pour les relations que nous voulons construire à l’intérieur de l’Europe et avec nos voisins du Sud et de l’Est. Comprendre que l’autre, de par sa différence, n’est pas un obstacle mais un formidable atout, est la seule façon de nous permettre d’avancer et d’affronter les importants défis qui nous attendent en termes de migration, d’éducation et d’environnement. Et plus encore, aujourd’hui, de paix.

Propos recueillis par Bertrand VALDEPENAS

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