Marseille. Théâtre des Bernardines: Marc Arnaud hilarant et émouvant dans «La métamorphose des cigognes »

Pour tous ceux qui l’ont vu au Théâtre du Train Bleu lors du Off d’Avignon 2021, jouer « La métamorphose des cigognes» ce fut un choc. Seul en scène Marc Arnaud se démène, bouscule les convenances, et déploie sans vulgarité un thème qui pourrait sans écriture ni humour paraître graveleux, vulgaire et outrancier. Mais de quoi s’agit-il ?

Destimed Marc Arnaud dans La metaphorphose des Cigognes Photo Axel Matignon 1
Marc Arnaud dans un spectacle hilarant sur le sujet délicat de la fécondation in vitro. (Photo Axel Matignon)

C’est l’acteur lui-même qui en parle le mieux : « La métamorphose des Cigognes », dit-il « c’est un homme seul dans une salle de recueil de sperme. Il doit éjaculer dans un gobelet pour faire un enfant par fécondation in vitro tandis que sa femme Isabelle est au bloc sous anesthésie générale pour la ponction ovarienne. Lui se tient là, face à vous, spectateurs, et face à lui même. Voilà le spectacle résumé. Et pendant une heure, passé, présent et futur se confondent, c’est le moment du bilan (pourquoi j’en suis là?), le temps de l’action (comment je fais?) et de la projection (je vais donc être papa?). Pour se sortir de cette situation, comme lui conseille un ami qui a déjà fait ça, il faut « penser mécanique »». Pas si simple… Parce qu’au delà du gobelet, il y a l’enfant. Mais avant l’enfant il y a la masturbation. Pratique banale mais qui ici prend une portée toute autre. Ça deviendrait Presque émouvant. « Premier bébé éprouvette en 1978 en Angleterre. Avant cette date là si tu éjaculais dans un gobelet, eh bien tu éjaculais dans un gobelet mais ça n’avait aucune conséquence, c’était porteur d’aucune promesse ». Il s’agit de FAIRE un enfant. Mais est-il sûr de son désir ? Est ce qu’il veut cet enfant ? Au point de passer par cette étape angoissante et un peu sordide ? Même si il sait que ce n’est rien, c’est presque facile, c’est indolore, rapide, plaisant ?

En comparaison avec ce que sa femme endure au bloc et la douleur qui va suivre pour elle pendant quelques jours c’est quand même pas grand chose cette affaire d’éjaculation dans un gobelet. C’est absurde même d’en faire toute une histoire. Mais lui c’est un homme, un «mâle» qui ne peut plus procréer « naturellement », il a besoin d’aide, c’est ainsi.

Et c’est pas grave au fond c’est de plus en plus courant, mais il n’empêche que face à son gobelet, il est seul, alors il parle, il cherche à se comprendre. « J’ai eu une infection, j’ai attrapé une infection, j’ai contaminé ma femme on est guéris mais cette infection a altéré mes spermatozoïdes et ils vont plus au bout. Je ne suis pas stérile mais j’ai du sperme lowcost. Donc FIV. »

Et il parle aux spectateurs. L’adresse est directe comme en stand-up à la différence près qu’il leur parle depuis la fiction. En plus de ces moments d’adresse directe, ces moments de confession-digression-dévoilement, «il y a également des scènes où je jouerai tous les personnages. Les médecins, l’infirmière du centre de recueil, un ami, un psy québécois, un présentateur télé, un homme rencontré aux urinoirs d’un resto indien… Je crois que ce solo (pour essayer de trouver un mot qui réunisse entre le stand up et le théâtre) c’est aussi une façon d’explorer l’intérieur d’une tête de garçon qui se demande comment il est devenu l’homme qu’il est devenu.» Comment il s’est formé… Dans sa sexualité, dans son rapport aux femmes, aux hommes, à la santé ou du moins au soin que l’on s’apporte à soi même ou pas, dans ses croyances, ses absences de croyance, ses désirs, ses addictions. Et tout ça lui pète un peu à la gueule mais « on manque de temps, dépêchez vous monsieur Arnaud », vient souvent lui rappeler l’infirmière.

«Réussir à faire un enfant, mais d’abord réussir à éjaculer dans un gobelet, quand dans la solitude de cette salle de recueil, il se sent aussi un peu ridicule et il a finalement peut être juste envie de rire et de parler. Mais pressé par le temps, il veut, doit et va réussir à éjaculer (la représentation de sa jouissance sera théâtralisée. Pas de performance réaliste au plateau !). Il jouit entouré de ses fantômes pour finalement, dans un compte à rebours final imposé par l’infirmière qui doit aller « faire la mixture » parler pour la première fois à son enfant en devenir». On ne saurait mieux dire.

Absence de décor et mise en scène circulaire de Benjamin Guillard.

Avec seulement sur le plateau un tabouret sur lequel on a posé un gobelet blanc, cette absence volontaire de décors laisse la place à une mise en scène circulaire de Benjamin Guillard, et permet à Marc Arnaud de bondir, se démener, et apparaître en un mot Irresistible de drôlerie. Une manière incroyable aussi de se déplacer et de livrer des confidences parfois très émouvantes, et que l’on sent très autobiographiques.

Avec des questionnements sur le fait de savoir si l’homme paye pour ses fautes, qu’est-ce qu’avoir un enfant, pourquoi on en veut un, et comment vivre en couple. Surgissent des portraits hilarants. Comme celui du médecin expliquant à Marc comment procéder pour mettre le sperme dans le gobelet non sans avoir oublié de se laver les mains, et nettoyer son sexe avec une lingette ; un gynéco qui ressemble au cousin Jean-Philippe ; un psy très bavard dont le narrateur précise : « C’est moi qui paye mais c’est lui qui parle », et le souvenir de Cindy dont il toucha le genou au ciné de Cholet. Osant appeler le sperme du sperme, et une éjaculation pour ce qu’elle est, « La métamorphose des cigognes » où on cite au passage poète et philosophe, aurait pu sombrer dans le glauque. Il n’en est rien. Toujours en équilibre sur une narration ubuesque et poétique Marc Arnaud qui obtint pour ce spectacle le Molière du meilleur seul en scène 2022, réussit non seulement une performance d’acteur mais un tour de force d’écriture. Si l’on rit beaucoup (surtout les femmes d’ailleurs comme on a pu le constater dans la salle) on applaudit cette leçon de vie et d’humanité confondante de bonté et d’optimisme.

Jean-Rémi BARLAND

Au Théâtre des Bernardines au 17, boulevard Garibaldi – 13001 Marseille. Ce samedi 27 janvier à 20 heures. Plus d’info et réservations par mail : reservations@lestheatres.net  ou sur  lestheatres.net

 

 

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