Adapté du récit de Xavier Le Clerc par Jean-Louis Martinelli et Mounir Margoum, « Un homme sans titre » est l’hommage d’un fils à son père immigré dans La France des années 60.

Ralentir….chef d’oeuvre ! Autant pour le texte de Xavier Le Clerc que pour son adaptattion théâtrale signée Jean-Louis Martinelli qui signe une mise en scène admirable accompagné de Mounir Margoum qui est également l’interprète incroyable de ce seul en scène à voir jusqu’au 20 décembre au théâtre des Bernardines de Marseille.
C’est en lisant « Misère de la Kabylie », reportage publié par Camus en 1939, que Xavier Le Clerc découvre dans quelles conditions de dénuement son père a grandi. L’auteur retrace dans « Un homme sans titre » le parcours de cet homme courageux, si longtemps absent et mutique, arrivé d’Algérie en 1962, embauché comme manœuvre à la Société métallurgique de Normandie. Ce témoignage captivant est un cri de révolte contre l’injustice et la misère organisée, mais il laisse aussi entendre une voix apaisée qui invite à réfléchir sur les notions d’identité et d’intégration.
Nous suivons le parcours de toute une vie de labeur et de larmes, de dignité et de résilience, d’amour des siens et d’engagement citoyen par le biais de fragments du livre présentés ici en intenses moments que le spectateur découvrira pas à pas, et dont il ne sortira pas indemne. Mohand-Saïd dont la photo illustre la couverture de l’édition de « Un homme sans titre » dans l’édition Folio de chez Gallimard s’est toujours battu pour que sa femme et ses neuf ans puissent manger à leur faim. Cela ne se passera pas sans efforts considérables, et ce que montre Xavier Le Clerc c’est comment la France alla chercher à bas prix dans les pays du Mahgreb et principalement dans l’Algérie devenue indépendante une main d’oeuvre en forme de bête de somme courageuse et corvéable à l’envi.
Cet aspect très politique du livre, le spectacle proposé ici le rend parfaitement bien, sans s’appesantir, sans démontrer mais en montrant comment cet homme sans titre « qui s’est déraciné pour que ses enfants s’enracinent » est tout simplement un héros de l’ombre. Un modèle de droiture qui mérite le respect et les honneurs de la République, bien qu’il ne les ait jamais obtenus. Le tout vu par son fils qui dut non par honte de ses origines mais par nécessité changer de nom.
Hamid Aït-Taleb, le narrateur devient Xavier Charles Le Clerc
Après de brillantes études universitaires, racontées non sans humour, au début de la trentaine, vers 2010 Hamid Aït-Taleb se désespéra de n’avoir jamais reçu un appel pour un entretien d’embauche, ayant hérité dit-il du nom de son père « qui n’était pas compatible avec un emploi qualifié. » Il mit alors à jours ses documents administratifs (acte de naissance, passeports, diplômes, factures) pour devenir Xavier-Charles Le Clerc. « Charles c’était en hommage à Foucauld le “marabout blanc” qui avait vécu parmi les Berbères du Sahara rachetant les esclaves pour les libérer », explique-t-il. Et Xavier choisi pour sa simplicité renvoie à la lettre X (l’auteur s’en apercevra plus tard) la croix que son père illettré apposait au bas de ses documents. Le Clerc étant la traduction littérale de son patronyme d’origine. Ainsi armé l’auteur put faire ainsi une carrière internationale très lucrative, où après avoir vécu à Londres à partir de 2004, et changé donc de nom, il sera chasseur de têtes pour des entreprises de luxe.
Martinelli le metteur en scène magicien, et Mounir Margoum, l’incroyable comédien
A tous ceux qui pensent à tort qu’une mise en scène se doit d’être forcément spectaculaire et remplie d’effets pour être prenante, Jean-Louis Martinelli apporte ici un cinglant démenti. Sur le plateau une table en formica (celle qui était dans le foyer du père), quelques chaises et tabourets représentant l’endroit où se placèrent année après année les neuf enfants de la famille.
Les lumières de Jean-Marc Skatchko, les musiques additionnelles de Joan Cambron, l’utilisation de la vidéo avec moment hilarant des images de Fernandel dans le film « Ali Baba et les quarante voleurs », une économie de moyens dans les déplacements, une manière de montrer combien l’expression du père mutique passe surtout par les mains, tout concourt à rendre la pièce magique. Jean-Louis Martinelli qui s’est fondu dans l’oeuvre avec son humilité habituelle demeure au service du texte. Quant à Mounir Margoum, il est cet artiste incroyable qui incarne le narrateur, son père, et tous les personnages plus qu’il ne les joue. Ayant souvent travaillé avec Jean-Louis Martinelli qui l’a mis en scène dans « Les sacrifiées » de Gaudé, «Une virée d’Aziz Chouaki », (un chef d’oeuvre), « Bérénice » de Racine, « Les fiancée de Loches » de Feydeau, ou « J’aurais voulu être Egyptien » d’après Chicago d’Alaa al-Aswani, il est ce Stradivarius solaire sur lequel sont disposés la musique des mots, la précision des mouvements, la profondeur des regards des silences, proposés par cet éloge aux gens de peu, aux déracinés, aux sans-grades à la fraternité entre des communautés jugées inconciliables.
On n’oubliera pas la manière dont le comédien lit au micro lors de l’enterrement du père la longue lettre qu’il lui adresse le 22 mai 2020 qu’il conclut par « j’espère que tu reposes en paix….. Le printemps est revenu, le fleuve est scintillant, pas un nuage dans l’horizon, si bleu que nous relie toi et moi, et que j’accepte comme un don du ciel. » On est bouleversés et par le texte qui conclut le spectacle et par le jeu incandescent et sobre dont Mounir Margoum l’accompagne. Vous avez dit chef d’oeuvre ?
Jean-Rémi BARLAND
« Un homme sans titre » par Xavier Le Clerc texte disponible chez Folio/Gallimard. Spectacle au théâtre des Bernardines, 17 bd Garibaldi, 13001 Marseille jusqu’au samedi 20 décembre à 20 heures. Réservations et renseignements sur lestheatres.net



