« Nous, soignants » un film sur le malaise hospitalier de Gilles Perez et Claire Feinstein

Ils se sont laissés griser par les applaudissements à 20 heures, lors de la période Covid. Tous ces soignants pensaient, peut-être un peu naïvement, qu’il y aurait une autre vie après le virus. Las, le film de Gilles Perez et Claire Feinstein nous décrit un monde de la santé malade, au bout du rouleau.

Destimed Soignants photos
Photos extraites du film « Nous soignants »

 

Mea culpa

« Ce film est né d’une culpabilité », confesse Gilles Perez, le réalisateur. « Comme tout le monde, avec la coréalisatrice Claire Feinstein, on a applaudi les soignants pour les remercier d’avoir pris ce risque ultime : mettre leur vie en danger pour nous soigner. Puis après le confinement on a détourné le regard, on ne s’est plus émus de leur sort ». Les deux réalisateurs ont sillonné la France, de l’Occitanie aux Hauts-de-France, De la Bretagne à l’Ile-de-France. Au total huit régions passées au scalpel pour essayer de comprendre le mal être de l’aide-soignante comme du chirurgien. « Ce qui nous a marqués c’est qu’on était très fiers d’avoir le meilleur système de santé mondial en 2000 selon l’OMS (Organisation mondiale de la Santé NDLR).  Ce n’était pas rien. Aujourd’hui on est en 2023 et on s’aperçoit la panade dans laquelle se trouvent les soignants ». Ce film polyphonique prend le pouls d’une trentaine de soignants du privé et du public et de trois experts. « Tous et c’est ce qui nous a surpris parlent en fait d’une même voix », insiste Gilles Perez.

Au bout du rouleau

« On est submergés, on est tout le temps en train de pallier le manque de quelque chose ». Tous les témoignages vont dans le même sens. « Je pensais que quelque chose de bon allait sortir du Covid. On ne pouvait pas avoir vécu tout cela sans une prise de conscience », indique Tiphaine Tancrez, auxiliaire de puéricultrice à Saint-Omer dans les Hauts-de-France. «Il y a des collègues qui viennent la boule au ventre avant de prendre leur service. Ils sont parfois en larmes», raconte Marc de Matos, infirmier au centre hospitalier d’Orléans. « Ils prennent leur double feuille de transmission. Ils sont là et ils craquent ». Pour Anna Maréchal, aide-soignante au CHU de Grenoble, la régression du soin est lente mais réelle : «Elle arrive à bas bruit et fait disparaître progressivement l’humain. On a l’impression que les malades sont devenus des objets ». Pour André Grimaldi, ancien chef de service en diabétologie à Paris, c’est clair : « l’hôpital est une entreprise commerciale c’est ça l’idée. Mais nous on ne s’adresse pas à des clients, on s’adresse à des malades. On ne vise pas à fidéliser une clientèle, on vise à soigner ! ».

Schizophrénie

Le directeur de l’AP-HM (Assistance Publique-Hôpitaux Marseille) estime qu’il peut devenir schizophrène en fonction des films qu’il voit. « Parfois je me sens proche des soignants d’autres fois, et c’est le cas dans ce film, je semble être l’incarnation des problèmes », relève François Crémieux. «Ce qui m’étonne dans ce film est qu’il y a un décalage entre le son et l’image. Dans les images on voit des soignants extrêmement engagés et puis à côté on a un message inquiet et négatif. Il est important de comprendre les causes pour résoudre les problèmes. Je suis directeur d’hôpital depuis 25 ans et je ne me suis pas vu imposer la rentabilité dans les hôpitaux où j’ai travaillé. Je ne crois pas que le système soit en train de s’effondrer. L’argument sur l’hôpital qui s’effondre est le dénominateur commun de deux groupes. Ceux qui veulent le défendre et ceux qui veulent le détruire ».

Gilles Perez concède qu’il n’a donné la parole qu’aux soignants mais pour une raison simple : « Les directeurs d’hôpitaux ne sont jamais des soignants ou des soignantes. Ils sont formés dans une école qui est une sorte d’ENA du système de santé. Ils viennent du monde de la gestion alors forcément ils ont un regard différent, un regard un peu en décalage par rapport aux soignants, ils sont même parfois dans l’affrontement ».

Reportage Joël BARCY

« Nous soignants » diffusion sur France3, mercredi 29 novembre à 22h40.

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